Le salon était plongé dans une semi-obscurité propice aux envolées de l'imagination. La nuit était tombée depuis plus d'une heure, mais les volets étaient restés ouverts, et je voyais les gros flocons de neige, crachés par les épais nuages, s'échouer à toute vitesse au sol. L'unique source de lumière provenait des flammes qui dévoraient le bois de l'âtre en crépitant, et dont le reflet venait danser sur les pages du livre que je lisais, allongée sur le ventre, sur une épaisse couverture et plusieurs oreillers, juste devant la cheminée. De la cuisine s'élevait une délicieuse odeur de poulet croustillant et de pommes de terre, et ma mère fredonnait une mélodie aux accents celtiques.
Elle me rejoignit dans le salon, prenant place dans le fauteuil en cuir, juste à côté de moi. Nous échangeâmes un sourire et je repris ma lecture.
- Où en es-tu ? me demanda-t-elle après m'avoir couvée quelques minutes de son regard protecteur et maternel, dans un silence apaisant.
Sans relever les yeux, je souris.
- Moins loin que ce que j'aurais souhaité. J'adore les descriptions hyper détaillées qu'il fait du magasin, des rayons, des ventes, de l'architecture haussmannienne... c'est ce qui fait le charme de l'histoire. Mais elles sont quand même vachement longues et coupent constamment l'histoire de Denise. Ça me frustre. Zola était amoureux des descriptions, ou quoi ?
Elle tendit la main et ébouriffa mes cheveux. Je secouai la tête en riant et son rire mélodieux se mélangea au mien.
- En fait, il y a des raisons qui justifient cette abondance de descriptions.
- Lesquelles ?
Elle quitta son fauteuil pour venir s'asseoir sur la couverture, et je l'imitai. Elle remit une mèche de mes cheveux derrière mon oreille.
- Emile Zola était un auteur naturaliste...
- Il se trimballait partout à poil ? la coupai-je d'une voix dégoûtée.
- Non, chérie, répondit-elle en rigolant, c'était un naturaliste, pas un naturiste. En fait, il est considéré comme le chef de file d'un mouvement littéraire appelé le naturalisme, qui découle d'un autre mouvement, le réalisme... tu sais ce que c'est, le réalisme ?
Je hochai la tête avec vigueur.
- L'auteur décrit la réalité de la manière la plus précise possible.
- Oui. Le naturalisme, c'est un peu pareil, sauf qu'il y a une dimension scientifique en plus ; justement, Zola lui-même considérait que « le romancier est fait d'un observateur et d'un expérimentateur », c'est en partie pour ça que ses descriptions sont si longues et précises. Tu sais, il savait parfaitement de quoi il parlait car il s'est comporté en scientifique et a fait des recherches.
- Comment ça ? la questionnai-je.
- Avant d'écrire ce livre, il a passé des mois à visiter et étudier les nouveaux grands magasins comme le Bon marché ou la Place Clichy qui faisaient concurrence aux petits commerces, les forçant à faire faillite par leurs prix très bas. Il les visitait de fond en comble, en prenant tout en notes dans ses Carnets d'enquête et en interrogeant du monde. Tout cela a donné de la matière à son histoire.
Je réfléchis un instant en triturant mon livre, avant de lui faire remarquer qu'elle m'avait dit qu'il y avait plusieurs raisons responsables des gigantesques descriptions. Elle sourit, amusée de ma « perspicacité ».
- La seconde raison, et la dernière, c'est, qu'à l'époque, les écrivains gagnaient généralement leur vie en publiant leur histoire toutes les semaines, chapitre par chapitre, dans les journaux. Ils étaient payés au nombre de mots qu'ils écrivaient, alors plus le texte était long, plus ils gagnaient d'argent.
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Le Prince et la Panthère
RomanceLui, Aaron, se prépare à devenir roi d'un pays déchiré par des conflits de plus en plus violents. Le peuple se révolte, les rebelles se font de plus en plus nombreux et organisés. Aaron, coureur de jupons invétéré et arrogant, mais très bon combatta...