Chapitre 8 : Le bal (2)

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Je fouillai brièvement avant de remarquer qu'exceptés les uniformes représentant exclusivement les grades, tous les autres portaient le nom de la bataille gagnée, brodé en fil d'or du côté du cœur. Je mis de côté tous ceux qui désignaient une bataille où Aaron avait combattu avec son oncle. Il fallait épater tout le monde, y compris l'oncle. Je finis par arrêter mon choix quelques minutes plus tard, alors que le poireau derrière moi s'impatientait. Je détaillai l'uniforme qui avait retenu mon attention. Il était très élégant et tout de noir - exceptés les boutons de la veste et ceux des manches qui était dorés. Il était bardé de galons sur les épaules et de diverses médailles brillantes qui ajoutaient des couleurs et contrastaient avec le noir de l'habit. Enfin, le nom de la bataille remportée était finement brodé sous une rangée de petites médailles rectangulaires : bataille de St Fargeau. L'une des batailles les plus longues et meurtrières de ce siècle, qui s'était déroulée il y a quatre ans. Pendant plus de cinq mois, les rebelles et les soldats du roi avaient combattu de par la ville, et le château, qui n'avait pas cessé de passer de main en main, finit par être presque complètement détruit. Le but ? les rebelles voulaient accéder à un poste de garde très stratégique à cause de son énorme salle de surveillance suréquipée et de l'immense réserve d'armes qu'elle possédait. Au bout de trois mois, le roi voulut faire bombarder la ville, qui avait été désertée par les civils, pour tuer les rebelles, mais sans rappeler ses propres troupes car s'ils désertaient la place, les rebelles comprendraient et fuiraient également (sans êtres interceptés, grâce à un réseau de tunnels connu d'eux seuls), après avoir embarqué sans doute au moins la moitié de la réserve d'armes, puisqu'il aurait fallu un peu de temps aux bombardiers pour arriver. Son plan s'ébruita et provoqua des protestations. Le peuple s'y opposa fermement et manifesta, d'une part pour la sauvegarde de la vie des soldats, d'autre part pour la préservation d'un patrimoine déjà bien amoché. Des ONG comme Amnesty International s'en mêlèrent et le roi fut obligé de céder. Il décida alors d'envoyer son fils sur place pour faire avancer les choses. En apprenant cela, les rebelles m'envoyèrent. J'avais dix-neuf ans ; ça ne faisait pas deux ans que j'officiais réellement sur le terrain. J'étais déjà l'un des meilleurs, grâce à mon entraînement acharné, mais ma réputation était timide. C'était mon premier face-à-face avec le prince, la première fois que je le voyais d'aussi près et que je l'affrontais en première ligne avec les rebelles. Auparavant, je l'avais déjà vu, lors de missions, mais seulement de loin. Le combat fut violent et dura encore un mois. Pendant ce temps, je m'infiltrais dans leurs camps pour écouter leurs conversations et les rapporter aux rebelles. Subtilement, nous avions toujours un coup d'avance.

Mais je ne sais comment, Aaron a compris que je l'écoutais. Il a communiqué de fausses informations à ses lieutenants, et nous avons marché. J'ai mené les rebelles dans un horrible piège qui s'est refermé sur nous. Ce fut une véritable boucherie... Il y a peu de fois dans ma vie où j'ai éprouvé un si fort sentiment de culpabilité... Le prince et moi nous sommes directement affrontés juste avant que les généraux rebelles ne sonnent la retraite, mais trop peu de temps pour que j'évalue sa manière de combattre. Cette bataille était encore à ce jour l'une des pires qu'il m'ait été donné de voir, un véritable bain de sang.

Je me raclai la gorge pour me sortir de ces pénibles souvenirs et décrochai l'uniforme. Je me retournai pour le montrer au prince.

- Lui.

Il l'étudia un instant puis hocha la tête. Je le posai doucement sur le lit à ses côtés.

- Vous êtes au point sur vos connaissances en histoire, remarqua-t-il.

- Hm ?

Je choisis une chemise noire simple, à mettre en-dessous de la veste.

- Peu de personnes, surtout de la jeune génération, savent qu'il s'agit de la bataille la plus meurtrière des soixante dernières années, et donc la plus glorieuse pour la royauté, m'éclaira-t-il.

Le Prince et la PanthèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant