Chapitre 1 : Un mariage ? ✓

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Quelque part en France au domaine Deroy, 1757

— Tu te marieras, jeune fille, que tu le souhaites ou non ! 

Les paroles de mère résonnent dans ma tête comme le bruit assourdissant d'un forgeron martelant le fer à vif de son marteau. La sensation est telle qu'elle me coupe le souffle et manque de me faire tomber sur le sol aussi dur et froid que son ton.

À ma grande surprise, il s'avère relativement moelleux ; j'atterris sur le fauteuil qui se trouve par miracle juste derrière moi.

Agacée, elle agite son éventail avec vigueur tandis que j'essaye de reprendre mon souffle aussi aisément que mon corset le permet. Ne sachant comment contrôler le tourbillon d'émotion m'assaillant de toutes parts, je me contente de serrer et desserrer compulsivement ma poigne autour des accoudoirs du fauteuil, à peine consciente du froissement de l'étoffe de sa robe qui tourne en rond dans ma chambre.

Elle finit par s'asseoir sur le lit en lâchant un soupir las.

— Je sais qu'on a eu cette conversation des centaines de fois, commence-t-elle le ton adouci. Je sais aussi ce que tu penses de tout cela, mais il faut que tu comprennes que tu ne peux guère te permettre de vivre comme bon te semble sans te soucier des conséquences. Malheureusement, notre condition de f... 

— De femme ne nous le permet pas ! C'est bien cela ? m'exclamé-je en bondissant comme un ressort et arpente la pièce, furibonde.

— Si père avait été encore parmi nous, il n'aurait jamais permis une telle chose ! Vous vous rendez compte de l'effet que cela me fait ! 

À bout de souffle et les larmes menaçant de couler, je m'oblige à arrêter ma marche folle pour rependre ma respiration.

— Saleté de corset !

Je gesticule comme un asticot en tentant de desserrer furieusement les lacets. Une fois délivrée de mes entraves, l'air s'engouffre enfin librement dans mes poumons.

— Chérie, je sais que... 

— Non ! Non, vous ne savez pas... Vous avez eu la chance d'avoir le mariage de vos rêves avec l'homme de vos rêves. Pourquoi me faites-vous cela ? Vous aviez promis à père ! 

Désespérée, je laisse mes larmes dévaler sur mes joues, même si mère considérait que cela n'était pas digne du comportement d'une grande dame.

À travers mes yeux embués, je constate non sans stupeur qu'elle me regarde avec tristesse, voire même avec un semblant de compassion.

— Ce n'est pas vraiment ainsi que les choses se sont passées... Et puis, la situation a changé maintenant, dit-elle en venant me masser les épaules.

Enragée, je ne relève même pas ce qu'elle me dit et continue de pester dans un langage bien fleuri qui ne manque pas de provoquer une vive réaction de sa part.

— Marina ! Un peu de tenue, je te prie ! On dirait que tu n'as reçu aucune éducation. 

Elle recommence à s'éventer comme si elle était prise d'une soudaine bouffée de chaleur. Peu ravie de ma réaction, elle retourne se rasseoir sur mon lit en lissant sa robe. Puis, en inspirant une grande goulée d'air pour canaliser sa colère, elle finit par reprendre calmement :

— Tu as vingt-deux ans, et tu t'obstines à rejeter toutes demandes en mariage sans laisser la moindre chance à qui que ce soit de faire ses preuves. Ta soif de liberté te perdra. À ton âge, tu ne peux plus te permettre d'attendre. 

Elle esquisse un geste dans ma direction, mais abandonne l'idée quand elle croise mon regard noir. Elle opte pour une plus sage décision en se dirigeant vers la sortie.

Nos destinéesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant