Chapitre 3 : Souvenirs ✓

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Joseph ne s'était pas trompé. À notre retour à la maison, Tempête et moi sommes trempées jusqu'à l'os. Le vent s'était soudainement levé et une forte pluie s'en était suivie, accompagnée de coups de tonnerre. Heureusement, mon cheval étant habitué au temps capricieux de notre pays, le chemin du retour s'est déroulé sans encombre.

—   Je constate que vous avez survécu à la colère du Seigneur, Madame, plaisante Joseph alors que je lui confie Tempête.

Il s'empresse de la couvrir pour qu'elle ne prenne pas froid et la conduit dans son écurie. Mon cheval hennit joyeusement quand il constate que son repas lui est déjà servi.

—   Quel fin observateur tu fais ! 

J'essaye de mettre de l'ordre dans le fouillis qui me sert de chevelure à l'aide de mes doigts, mais abandonne rapidement mon entreprise lorsque ceux-ci se coincent à plusieurs reprises dans les innombrables nœuds entremêlant mes sombres longueurs. Bon sang...

—  Mère va se mettre dans une colère noire si elle me voit revenir dans cet état. De quoi ai-je l'air ? 

—   Vous avez l'air d'un rat mouillé avec un nid d'oiseau sur la tête... me taquine-t-il en me détaillant de haut en bas.

Je le fusille du regard et lui balance mes bottes crottées en pleine figure.

—   Palefrenier ! Nettoie-les ! Je veux que ça brille. Tout de suite ! 

Joseph ramasse mes bottes en riant et grommelle quelque chose que je n'entends pas.

—   Pour cette fois-ci, je veux bien m'en charger, mais uniquement pour vous empêcher d'attraper froid. Si votre mère me voyait faire, elle me taperait sur les doigts, me dit-il, tandis que je flatte le museau de Tempête en guise de bonne nuit.

Joseph fait partie de ces personnes qui redoutent la fureur froide de ma génitrice.

N'ayant guère oublié son passé de pauvre, mère n'a jamais manqué de me rappeler que ce n'est pas parce que nous vivons aujourd'hui dans l'opulence que cela a toujours été le cas.

Redoutant que je devienne une de ces bourgeoises fainéantes et capricieuses, elle a mis tout en œuvre pour que je puisse me débrouiller seule et être autonome, quitte à réprimander sévèrement les domestiques qui voulaient m'assister plus que de raison.

Je me souviens du jour où j'étais revenue toute crottée d'un après-midi de chasse avec père, alors âgée de huit ans. Avant le départ, notre camériste m'avait avertie que mes vêtements venaient d'être fraichement lavés, et mère m'avait enjointe à ne pas les salir plus que nécessaire. Évidemment, je n'en avais fait qu'à ma tête et étais revenue avec une tenue plus noire que blanche. Pleine de bonne volonté, la domestique m'avait déshabillée pour m'aider à nettoyer mes vêtements, mais sa maîtresse l'avait sommée de me laisser m'en charger.

J'entends encore sa voix retentir dans mes oreilles pendant que je frottais les vêtements de mes petites mains pleines de savon :

— La richesse se cultive avec les graines de durs labeurs. Ne l'oublie pas ! 

Je ne l'ai jamais oublié, et Joseph non plus apparemment.

— Seulement pour cette fois ? le taquiné-je, les sourcils haussés et un sourire moqueur collé sur les lèvres. Que ferais-tu si je demandais à Rosita de te les apporter pour moi ? Tu la renverrais ou tu te contenterais de les nettoyer afin de passer un agréablement moment à ses côtés ? 

Guettant sa réaction, je suspecte que l'intérêt de Rosita soit réciproque. J'ai ma réponse quand je vois la peau de son cou et de ses joues rosir, alors qu'il tente de me la cacher en faisant mine d'éparpiller du foin dans l'écurie.

Nos destinéesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant