Chapitre 51 : La vie et la mort ✓

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— Allez-y ! Poussez encore une fois !

Le docteur Dubois n'est plus qu'une tache difforme dans ma vision brouillée de larmes et de sueur. Les cris, les chaussures martelant le sol, les portes s'ouvrant et se refermant précipitamment, le chiffon mouillé sur mon front, ils me semblent si proches et en même temps si lointains. Où suis-je ? Est-ce réel ? Ou suis-je en train de vivre le plus effroyable de mes cauchemars ?

— Aller, Marina, s'il te plaît, tient le coup ! Tu y es presque !

Je sens la main de mère serrer la mienne avec une telle force qu'elle pourrait la broyer avec aisance si elle le voulait. Qu'importe... Qu'elle le fasse... Mon corps est tellement endolori que je n'en ressentirais même pas la douleur.

— Poussez !

Je ne peux pas...

J'aimerais tellement avoir le courage de continuer, mais je n'y arrive pas. Mes membres sont comparables à du plomb et je ne suis même pas certaine que mes yeux soient ouverts, oscillant entre lucidité et inconscience.

Où est William ? Le bébé arrive...

— On la perd ! tonne une voix en provenance du docteur. Continuez de l'éponger et de lui parler, il ne faut surtout pas qu'elle s'évanouisse !

— Marina, pitié ! me supplie une autre voix en me giflant vigoureusement la joue.

J'ai envie de dire à cette personne qu'elle perd son temps et son énergie, mais je suis incapable d'ouvrir la bouche.

Partez... Partez tous ! Laissez-moi tranquille...

Alors que j'allais laisser les ténèbres m'engloutir, une forme floue à la chevelure reconnaissable entre mille apparait dans mon champ de vision. Mon cœur rate un battement, et mue par un regain d'énergie, je secoue faiblement ma tête pour tenter d'éclaircir ma vue, sans grand succès. Toutefois, la forme finit par laisser place à un visage tout aussi trouble, mais suffisamment clair pour que je puisse arriver à discerner l'arête droite de son nez et sa fossette au menton.

— William ! couiné-je avec une intonation que je ne me connaissais pas. Tu es revenu !

La forme continue de me regarder, immobile. Frustrée, je lève péniblement ma main pour essayer de l'atteindre en geignant :

— Pourquoi est-ce que tu ne dis rien ?

— Ne vous en faites pas, elle délire à cause de la fièvre, annonce la même voix que tout à l'heure.

Le visage de William disparait, me faisant immédiatement paniquer :

— Non, reviens ! Dis-moi que tout va bien se passer ! Je n'ai plus la force de pousser.

Pas sans toi...

Alors que je me débats pour chercher mon mari du regard, un voile m'obscurcit momentanément la vue, tandis que son odeur vient chatouiller le bout de mon nez. Je la hume comme si ma vie en dépendait et gonfle mes poumons de cette fragrance salvatrice. La lumière revient avec le beau visage de William, cette fois-ci limpide comme de l'eau de roche.

— Tout va bien se passer, Marina. Pousse encore une fois, et notre enfant sera avec nous.

Je sens ses mains autour de mes épaules me soutenir et, avec les toutes dernières forces qu'il me reste, je pousse aussi fort et longtemps que je le peux, la morsure de mes ongles marquant mes paumes à sang.

Puis, des cris de nouveau-né me tirent de ma torpeur et je constate avec effroi que l'odeur provenait de sa chemise, dont je suis maintenant vêtue, et que le visage qui me faisait face n'était pas celui de mon mari, mais celui de Maria. Ma désillusion est telle que j'ai l'impression de sombrer dans une chute sans fin, pour être ensuite piétinée sans merci par la force de mon chagrin.

Nos destinéesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant