Chapitre 56 : L'apparition ✓

3.2K 358 65
                                    

Un mois plus tard, domaine des Decléssin.

— Il semblerait que le roi prenne un malin plaisir à les faire croupir en prison, déclare Marco en m'aidant à escalader l'échelle des hautes bibliothèques du bureau de William.

— Je pense que la décapitation n'est peut-être pas un châtiment suffisant pour lui. Peut-être qu'il souhaite que chacun ressasse et prenne conscience de leurs actes, répondis-je en attrapant les livres de compte.

— Je vois... En effet, le poids de la culpabilité doit être un lourd fardeau à porter tous les jours. Je ne voudrais pas être à leur place.

Je redescends de mon perchoir et dépose la tonne de livres et de documents sur la grande table avant d'y jeter un regard circonspect. Il y en a pour des lustres !

— Comment est-ce possible d'entasser autant de paperasserie en aussi peu de temps ?

— Tel est le prix à payer pour un domaine de cette envergure en plus d'une distillerie de renom !

Je lâche un soupir à fendre l'âme en me laissant tomber avec lourdeur sur le fauteuil. Ce même fauteuil qui avait accueilli le corps de William pendant des années, et maintenant le mien. Doucement, je caresse ses accoudoirs en repensant aux nombres de fois où mon mari les avait touchés, les marquants de la trace de ses doigts.

— Vous n'êtes pas obligée de faire ça, Madame.

Je sais que je ne suis pas obligée, mais m'en occuper moi-même m'est vital. D'une certaine façon, cette tâche m'apporte du réconfort, car j'ai l'impression d'avoir William à mes côtés en plus de me maintenir occupée.

Entre la naissance d'Eléonore et cette histoire de jugement, mon esprit n'avait pas eu le temps de s'attarder sur le manque que l'absence de mon mari provoquait en moi. Mais, maintenant que l'excitation est retombée, je me surprends trop souvent à laisser mes pensées vagabonder vers le chemin bien trop obscur et sans retour de la mélancolie. Or, je me dois de garder l'esprit clair pour ma fille et ma famille, leur avenir dépend uniquement de moi à présent.

— Refouler vos émotions n'est pas la solution, continue-t-il en lisant en moi comme dans un livre ouvert. Regardez le résultat que cela a produit sur William. Loin de moi l'envie de vous paraître irrespectueux ou intrusif, mais si j'étais vous, je prendrais le temps de me remettre de cette épreuve. Depuis combien de temps n'avez-vous plus dormi, Madame ?

Le regard désapprobateur du majordome et ses leçons de morales, quoique bienveillantes, commencent à m'irriter au plus haut point. Agacée, je me redresse et fais mine de m'attaquer à l'épaisse liasse de courrier.

— Je n'ai pas le temps pour ça, Marco. Sincèrement, je vous remercie pour votre inquiétude et l'intérêt que vous portez à ma santé, mais je vais bien.

— Alors, pourquoi ne pas avoir désigné un nouvel administrateur ? Bien que je comprenne votre volonté de vous investir dans les affaires, vous vous devez d'être représentée par un-

— Un homme, je sais ! m'énervé-je en l'interrompant.

Face à mon emportement soudain, le vieil homme baisse les yeux en reculant de quelques pas.

— Évidemment que vous le savez, veuillez m'en excuser, Madame. Je ne vais pas vous déranger plus longtemps, et vous laisser à vos occupations.

— Attendez, Marco, l'interpellé-je alors qu'il se dirige vers la sortie. Je ne voulais pas me montrer désagréable. C'est juste qu'avec toute cette histoire avec Henri, je ne sais plus qui je dois croire ni à qui faire confiance... Et je ne peux m'empêcher de me sentir encore terriblement coupable pour le sort auquel je les ai condamnés. Lisa se retrouve seule et dévastée, bien que son fils soit rentré d'Italie pour s'occuper d'elle et de leur domaine. Quant à ma mère, elle est repartie chez elle en me laissant seule, et... balbutié-je en sentant le contrôle de mes émotions m'échapper à chaque nouvelle confession. Et je voudrais tellement que William soit là, avoué-je en relâchant la pression et mes larmes. Comment sommes-nous retrouvés dans une telle situation ? Personne ne devrait à avoir à vivre un tel enfer !

Nos destinéesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant