Comme à chaque fois que je chevauche avec elle, un sentiment de liberté m'envahit instantanément. J'aime quand mes cheveux volent librement autour de moi, quand l'air frais fouette mon visage de sa douce caresse, quand Tempête et moi pouvons fuir la réalité. Fuir...
Voilà ce que je m'évertue à faire depuis que père nous a quittés un an plutôt. Je fuis les responsabilités, je fuis l'âge adulte, je fuis mon deuil. Je me rends bien compte que cela fait de moi une personne immature et égoïste... Pourquoi moi, plus qu'une autre, devrait échapper à son devoir ?
Je finis par m'arrêter près du ruisseau bordant la clairière en fleurs afin de permettre à Tempête, en nage, de s'abreuver.
— Désolée ma belle, je t'ai encore poussée trop loin.
Je m'assois non loin d'elle, les coudes posés sur mes genoux fléchis, et profite du silence de la forêt. C'est le petit rituel que j'ai mis en place peu de temps après la disparition de père. Dès l'instant où je ressens le besoin de réfléchir ou de m'apaiser, c'est ici que je viens me ressourcer. Mon endroit à moi...
Je ferme les yeux et laisse le doux bruissement des feuilles d'arbre, ainsi que les piaillements mélodieux des oiseaux me calmer.
« Tu te marieras que tu le veuilles ou non ! »
Me marier... Quelle piètre épouse je ferais !
Le mariage a toujours été soigneusement rangé dans un des tiroirs de ma tête que je garde obstinément fermé. Pourquoi est-ce que je me montre si réfractaire au mariage ? J'en ai pourtant été témoin d'un modèle de réussite.
Mes parents se sont aimés et respectés. Mais je sais aussi que nous n'avons pas tous la chance de vivre ce genre d'amour.
Je me souviens du mariage désastreux de mes tantes maternelles, qui n'ont malheureusement pas eu la chance de tomber sur un mari aussi bon que celui de leur sœur. Elles ont toutes les deux été mariées à des vicelards présentant pourtant tout d'honnêtes hommes aux premiers abords.
Puis, les masques finissent par tomber, et les dettes et les coups finissent par pleuvoir.
Je suis tétanisée à l'idée que cela puisse m'arriver. Être mariée à un homme qui ferait tout pour me changer, me modeler à sa façon, comme un objet et non comme une personne. Ne laissant de moi qu'une simple coquille vide...
Rien que de l'imaginer, un violent frisson me parcourt l'échine et se répand à travers mon corps en hérissant les poils sur son sillage.
Je confiais souvent mes doutes à père, qui se montrait bien plus compréhensif que mère. Étant son unique fille, il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour me gâter, me chérir et me laisser profiter au maximum de mon innocence. Je l'entends encore me dire :
« Ma fille, tant que je serai vivant, je te promets que je ne te forcerai jamais à te marier. Tu auras le droit d'épouser qui bon te semblera et pour les bonnes raisons. Tout être humain devrait avoir le droit d'être maître de ses propres décisions. La nature ayant fait de toi une femme, ce droit ne t'est plus qu'un luxe soumis au bon vouloir d'un homme. Je ne peux le tolérer !»
Mon présumé mariage était le plus grand sujet de discorde entre mes parents. Père se montrait loyal envers moi, respectant mon envie de mariage d'amour, alors que mère lui reprochait de trop me couver, me permettant de rester enfermer dans mon enfance.
Étant le chef de la famille, il endossait mes refus de demande en mariage, prétextant qu'aucun homme ne pourrait être suffisamment valeureux et droit pour sa charmante progéniture.
Je ne peux m'empêcher d'en rire en pensant à l'image de l'homme hautain et arrogant qu'il avait dû donner au monde extérieur. Mais il ne s'en formalisait pas, campant sur sa décision. Son amour pour moi surpassait les lois de la nature.
Quelques fois, je me sentais terriblement coupable lorsque je les entendais se disputer à cause de mes idées bien arrêtées. Je me réfugiais dans ma chambre, la tête cachée sous un oreiller, en me demandant pourquoi je n'y arrivais pas. Pourquoi étais-je incapable de faire ce que toutes bonnes filles faisaient. Il aurait été si simple de faire taire leurs cris.
Maintenant, je comprends. C'est parce que je me réfugiais lâchement dans la sécurité et la facilité que m'offrait mon père.
Il est parti en emportant son soutien, sa protection et son amour avec lui. Me laissant seule et sans arme pour affronter la dure réalité de la vie. Une partie de moi lui en voulait de ne pas s'être montré plus dur envers ma personne, de ne pas m'avoir confrontée à mes responsabilités comme mère le faisait. Mais je ne peux pas me permettre de lui en vouloir, il n'avait fait que ce qu'il pouvait afin de me rendre heureuse.
Parfois, je me demande comment mère parvient à gérer le deuil de son époux. Elle qui semble si forte, si inébranlable. Elle aussi a perdu ce qui lui était de plus cher au monde. Je ne peux concevoir ce qu'elle a dû ressentir lorsqu'elle a découvert le corps de père, sans vie, gisant à ses côtes lors de son réveil. Lorsque nous avions dû l'enterrer, la privant définitivement de la présence de son unique amour. Lorsqu'elle a dû reprendre du jour au lendemain les rênes du domaine.
Un élan d'admiration pour mère s'empare de moi. Je dois être forte comme elle, et ne plus fuir la vie. Me comporter comme on l'attend de moi, quitte à me perdre.
En réouvrant mes yeux, je suis surprise de constater que la nuit est presque tombée. Je ne pensais pas avoir cogiter aussi longtemps...
Sans grand enthousiasme, je me relève, époussette ma robe et prends mon courage à deux mains. Il est temps que j'ai une conversation à cœur ouvert avec mère.
Je fais claquer ma langue pour rappeler Tempête qui gambade joyeusement dans la clairière. Elle revient vers moi à contrecœur, visiblement peu ravie de devoir rentrer à son écurie.
Avant de quitter les lieux, je ramasse quelques cailloux trainant sous mes pieds, et commence à les jeter dans le ruisseau en symbole de ma liberté, de mon insouciance et de ma lâcheté.
Merci à toi d'avoir lu ce deuxième chapitre !
J'espère que tu as pris autant de plaisir à lire que moi à l'écrire :)
N'hésite pas à me donner ton avis et tes éventuelles remarques sur ta lecture.
C'est avec un grand plaisir que j'échangerai avec toi.
A bientôt !
Victoria L.
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Nos destinées
Fiksi SejarahEn l'an 1757, Marina Deroy, jeune bourgeoise de vingt-deux ans, voit son destin bouleversé du jour au lendemain lorsqu'elle apprend que l'entreprise de ses parents est au bord de la faillite. Le père de Marina, Arthur Deroy, décédé brutalement un a...