Les quelques jours que j'étais censée passer chez mère se sont vite transformés en plus d'une semaine. En effet, j'avais eu beaucoup de mal à me séparer de la bonne humeur et de la bienveillance de ma famille. D'autant plus que j'avais pu bénéficier de traitements de faveur pour le moins inhabituels. Même mère, qui a pourtant une sainte horreur qu'on me cire les chaussures, s'y était mise.
— Ne t'y habitue pas trop, jeune fille, s'était-elle exclamée pendant qu'elle me massait les pieds avec de l'huile d'amande. Je tiens juste à ce que mon petit-fils se développe dans les meilleures conditions possibles. Et pour cela, je suis obligée de te choyer toi.
Au vu du sourire béat qui illuminait son visage depuis qu'elle avait appris l'existence de son descendant, je n'avais pas eu le cœur de la contrarier et m'étais tue. Malgré tout, je savais que la femme sévère et autoritaire, répondant au nom d'Elizabeth Deroy, allait très bientôt laisser place à une grand-mère gâteau et esclave d'un petit être même pas encore né.
— Qu'est-ce qui vous fait croire qu'il va être un petit-fils ? m'étais-je contentée de demander en me retenant de lever les yeux au ciel.
— Une intuition... Puis, mis à part ton teint légèrement grisâtre, ta peau est lisse comme celle d'un bébé ! Pas l'ombre d'une petite imperfection, avait-elle remarqué en m'examinant de tellement près que ses yeux n'en formaient plus qu'un. Ah, les nausées aussi ! Tu n'as pas l'air d'en souffrir outre mesure.
— Et c'est là que vous me dites que vous le savez également parce que votre propre grossesse a été un véritable enfer ?
— Absolument ! Tu sais que je t'aime plus que tout au monde, mais te donner la vie n'a pas été de tout repos. Entre les vents, les pustules aussi grosses qu'une baie et des poteaux en guise de jambes, je ne me reconnaissais qu'à peine ! s'était-elle remémorée, les traits crispés dans une moue de dégout alors que des souvenirs traumatisants resurgissaient de son esprit. Puis, ce fameux quatorze janvier mille-sept-cent trente-cinq, j'ai rencontré le plus beau des joyaux dont l'éclat m'a aussitôt fait oublier tous mes maux et angoisses pour laisser mon cœur rempli d'un amour inconditionnel. Je dirais même que, ce jour-là, j'ai rencontré l'amour de ma vie.
Dès l'instant où elle avait posé ses yeux débordant d'adoration sur moi, j'avais compris d'où elle avait tiré la force nécessaire pour surmonter la mort de père en plus de la détérioration inquiétante de l'entreprise. C'était grâce à moi, grâce à l'amour qu'elle me portait. Maintenant que je m'apprêtais à devenir mère à mon tour, la détresse qu'elle avait ressenti alors que j'étais mourante m'avait percutée en plein cœur. Elle avait failli perdre sa raison de vivre, ce petit être engendré dans l'étreinte d'un amour puissant et réciproque. Cette part d'elle-même et de l'homme qu'elle aimait éperdument. Son tout.
Les larmes aux yeux, j'avais retiré mes pieds de ses mains expertes pour la prendre dans mes bras. Cet élan d'affection l'avait prise au dépourvu mais elle y avait répondu timidement, fidèle à son tempérament peu démonstratif.
— Merci, mère, avais-je bégayé, la voix tremblante d'émotions. Merci de vous être battue pour moi.
Son accolade s'était resserrée dans mon dos pendant que quelques larmes discrètes s'étaient échouées dans mon cou. Nous avions partagé un moment d'intimité rare, où elle m'avait communiqué toute sa force tandis que je lui avais exprimé ma plus profonde gratitude, me laissant prête pour affronter mon futur ombrageux. Si elle l'avait fait, alors moi aussi...
C'est donc revigorée que je me retrouve devant Marie, Saphir et Noisette, empressées d'accourir dans le vestibule pour venir me saluer. Mes deux chats se précipitent en travers les jambes de l'intendante, en manquant de la faire tomber tête la première, pour réclamer leurs caresses. C'est évidemment avec grand plaisir que je réponds à leur besoin d'attention en les couvrant d'affection, les ronronnements de Noisette pouvant concurrencer sans pâlir avec les hennissements de Tempête.
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Nos destinées
Historical FictionEn l'an 1757, Marina Deroy, jeune bourgeoise de vingt-deux ans, voit son destin bouleversé du jour au lendemain lorsqu'elle apprend que l'entreprise de ses parents est au bord de la faillite. Le père de Marina, Arthur Deroy, décédé brutalement un a...