Chapitre 59 : Le bienfaiteur ✓

3.3K 335 17
                                    

Le soir venu, William et sa femme se retrouvèrent autour d'un véritable festin préparé en l'honneur du retour du maître des lieux. Le duc ne sut dire depuis combien de temps il n'avait plus mangé de repas complets. Ceux de la guerre se résumant à quelques morceaux de légumes flottant sur la surface de l'eau en guise de soupe et, s'il était chanceux, un bout de pain en accompagnement.

William avait déjà connu la faim par le passé, mais son périple au Canada en plein milieu de l'hiver avait été le pire, et de loin... Entre les animaux retranchés dans leur tanière et les lacs complètement gelés, trouver de quoi se nourrir relevait de l'impossible. Il ne se souvint que trop bien de la désagréable sensation que ses tripes lui imposaient, tiraillées sans aucune pitié par la famine. Il ne revit que trop bien la façon dont son corps et son esprit refusèrent de lui obéir par manque d'énergie.

Aujourd'hui, le duc comprit la chance qu'il avait de ne manquer de rien, d'avoir la moindre de ses exigences exaucées d'une simple requête, alors que d'autres se battaient tous les jours pour survivre. Conscient de cela, les différents mets se présentant sous ses yeux lui semblèrent presque indécents. Un homme n'a guère besoin de tant de ressources pour être en parfaite santé...

Il balaya la table du regard, puis le reposa sur son épouse en train d'allaiter sa fille, le sourire aux lèvres. Tous les enfants devraient pouvoir manger à leur faim...

Et c'est là qu'il sut.

L'idée lui apparut comme une évidence au point qu'il se sentit bête de ne pas y avoir pensé plus tôt. Lui, qui parlait constamment de son envie d'améliorer le monde, il saisit qu'exercer ses fonctions et ses obligations envers le roi n'étaient pas la seule façon d'y contribuer. S'il voulait réellement apporter sa pierre à l'édifice, il devait s'impliquer personnellement dans la misère qui rongeait son pays. Il devait cesser de fermer les yeux sur celle-ci et agir ! Après tout, il en avait les moyens, et il fit le choix de partager les bénéfices de ses privilèges avec les plus nécessiteux.

De simples actions pour lui, mais tellement vitales pour d'autres. Qui d'autre que lui pourrait être mieux placé pour cela ?

— Rosaline, l'interpella-t-il en se tournant vers la domestique et Marie qui étaient toujours en train de dresser la table, je ne doute pas un seul instant que vos plats soient somptueux, mais je souhaiterais que votre cuisine ravisse d'autres papilles en plus des nôtres.

Celles-ci se figèrent, incrédules, et regardèrent le duc la bouche grande ouverte. De son côté, Marina releva la tête, tout aussi surprise qu'elles.

— Je ne suis pas sûre de bien comprendre, Monsieur. Vous ne voulez pas manger ?

— Oui, bien sûr que oui, précisa-t-il en lui indiquant l'agneau du doigt. Disons que nous n'avons guère besoin d'autant de nourriture, n'est-ce pas, Marina ? Nous pourrions donner un peu de notre tout à ceux qui ne possèdent malheureusement rien.

Celle-ci acquiesça vivement de la tête en comprenant déjà où son mari voulait en venir.

— Je me disais que nous pourrions distribuer des repas et d'autres vivres à l'institut des Cheveux d'Ange. Bien sûr, nous pourrions aussi approvisionner l'hôpital Saint-Vincent en plus de leur fournir du matériel afin que les médecins puissent continuer à sauver des vies.

— Monsieur, cela me semble être une idée formidable ! Vous êtes si bon ! s'émerveilla la cuisinière en remplissant l'assiette de Marina à foison.

— Cela sera suffisant, Rosaline, je vous remercie.

— Je suis navrée, Madame, il va falloir que je change mes vieilles habitudes, plaisanta-t-elle.

Nos destinéesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant