Chapitre 54 : Le jugement (Partie 1) ✓

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Tribunal de Paris, mai 1759.

Notre petite escape auprès du roi avait heureusement porté ses fruits. Comme John s'en était douté, Sa Majesté nous avait gracieusement offert toute son attention quand elle avait compris la nature de notre urgence. À peine le billet présenté sous ses yeux, elle avait intimé, d'une voix forte et distincte, l'ordre à son secrétaire d'envoyer une convocation à comparaitre devant sa personne à tous les noms figurant sur la liste.

— Faites cela dès maintenant, avait tonné le roi en serrant les poings. Dire que la plupart d'entre eux ont siégé à mes côtés durant des années ! Bande de traîtres !

Le secrétaire s'était immédiatement mis au travail et sorti de manière fébrile tous les sceaux, cires, encres et papiers nécessaires pour s'atteler à sa tâche.

— Aussi, assurez-vous que cette audience soit publique, avait-il continué sur un ton impartial qui ne pouvait toutefois pas masquer ses iris brulants de fureur. Je ne voudrais pas priver qui que ce soit du plaisir d'assister à leur cuisante humiliation. Il va de soi que vous omettrez de stipuler qu'il s'agit de leur propre condamnation. Imaginez la tête qu'ils feront quand ils réaliseront qu'ils seront de l'autre côté de la barre...

Le roi n'avait pas pu résister à l'hilarité que la séduisante image provoquait en lui et partit dans de grands éclats de rire, auxquels nous avions répondu par quelques esclaffements surjoués.

— Mon pauvre William ! Ne vous inquiétez pas, duchesse, ces malotrus payeront pour l'importance de leurs crimes. Oh oui, ils le payeront de leur tête ! s'était-il exclamé en abattant son poing sur la table. Tel est le châtiment réservé à quiconque osant s'entraver à la couronne.

Les yeux écarquillés d'horreur, j'avais jeté un coup d'œil à la dérobade à John en comprenant l'ampleur de la situation ; nous venions de condamner dix personnes à mort en moins de quelques minutes. En entreprenant ce geste, je savais et je voulais que les coupables soient sévèrement punis, mais de là à le payer de leur tête ! À cause de ma naïveté, dix familles pleureront la perte d'un être cher pour le restant de leurs jours. Aussitôt, je m'étais mise à culpabiliser et avais tenté de trouver un moyen pour que le roi leur accorde sa clémence. Alors que j'allais ouvrir la bouche, John m'avait devancé en me coupant la parole :

— Nous vous remercions infiniment pour l'intérêt que vous nous avez porté, Votre Majesté. Aussi, il nous tarde de voir le sang de ces criminels couler pour l'affront impardonnable et grotesque qu'ils ont commis non seulement envers vous, mais envers tout notre pays également.

— Exact, mon très cher colonel. Nous ne formons qu'une seule et même fratrie. Ensemble, nous faisons rayonner la France ! Ainsi, je ne peux tolérer de tels agissements.

— Cela va de soi, avait ponctué John en s'inclinant avec respect. Il est venu le moment pour nous de nous retirer, n'est-ce pas, duchesse ? Nous avons bien assez profité de votre temps précieux, Votre Altesse.

Après quelques révérences, l'ami de William m'avait littéralement poussé en dehors de château avec de grandes enjambées, avant de m'attraper fermement l'épaule de sa main valide :

— Vous êtes devenue folle ? Vous alliez essayer de plaidoyer pour ces traîtres ?

— Non ! m'étais-je défendue. Je ne m'imaginais juste pas que nous allions les guider tout droit sous la guillotine !

— À quoi vous vous attendiez ? Les faits commis sont d'une extrême gravité. On parle tout de même de meurtre, complots et traîtrise ! Vous exprimez en leur faveur, c'est vous soumettre au même traitement !

— Je sais... Non, je ne sais plus ! John, en plus d'avoir scellé le destin de ces personnes, nous avons aussi condamné leur famille à les pleurer pour toujours ! m'étais-je exclamée en sentant mes yeux s'humidifier.

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