52. Jour J

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— Je perds du sang !

Je viens de réveiller Florent de son profond sommeil sur le canapé. J'ai déjà appelé l'amie qui doit venir garder les petits et je suis habillée. Ma fille aurait dû arriver depuis deux jours déjà. J'en suis persuadée, c'est pour aujourd'hui.

— Ca travaille, madame, mais pour le moment, il n'y a rien à signaler...

L'infirmière hésite.

— Puisque vous êtes là, et que de toute façon on finira par vous déclencher, vous voulez qu'on le fasse aujourd'hui ?

Je ne sais pas trop quoi lui répondre. Je suis étendue sur ce lit d'hôpital depuis presque trois heures, dans l'attente d'une réponse à mes questions. J'ai eu une brève échographie, où un gynécologue peu impliqué m'a dit que tout était normal. Si la délivrance ne vient pas naturellement demain, dans tous les cas, je devrais être déclenchée. Alors après tout, oui, pourquoi pas aujourd'hui ?

Florent acquiesce :

— Oui, aujourd'hui, c'est bien. On est déjà là !

Il a sûrement raison.

La jeune femme m'explique comment cela va se passer : on va m'injecter un produit qui provoquera des contractions, puis tout se déroulera comme pour un accouchement classique. Elle sourit :

— Vous avez l'habitude !

C'est vrai. Tellement que je n'ai pas pris de cours cette fois. Faire les exercices seule, à chaque fois, ça ne me disait guère. Elle nous conduit dans une salle et on m'installe la perfusion. A partir de maintenant, il faut attendre. Rapidement, je commence à sentir les contractions. Elles sont violentes. Bien plus que pour mes précédents accouchements. J'appelle l'infirmière, qui me dit que c'est normal lorsque l'on provoque un accouchement. Je demande à avoir la péridurale. Un anesthésiste viendra me la poser, mais plus tard. De longues contractions plus tard, j'ai droit à un gaz hilarant qui me met gentiment dans les vaps. Ca ne va pas tarder, me dit-on simplement.

Deux heures plus tard, rien ne se passe. Je rappelle l'infirmière et lui demande si c'est normal. Elle semble étonnée.

— On va tout de même vous faire passer une échographie.

Je monte un étage plus haut, où un autre gynécologue passe tout aussi distraitement une sonde sur mon ventre. Tout à coup, pourtant, il s'arrête. Je lui demande ce qu'il se passe. Il ne me répond pas et continue à fixer l'écran, sourcil froncé.

— On va aller voir le chef de service.

Je demande à nouveau ce qui se passe, mais il ne me répond pas. Florent ne dit rien, il attend. Moi, je boue. Il nous précède dans le couloir, et ce n'est qu'une fois devant le grand patron qu' il explique enfin ce qui m'arrive. Je n'y comprends rien. Le gynécologue d'un certain âge prend le temps de me rassurer :

— Votre fille est en siège. Je vais regarder si je peux la faire pivoter.

On me demande de m'allonger. On m'examine, me pousse sur le côté. On me transporte, on me retourne. J'ai l'impression d'être un misérable bout de viande. Bientôt, le verdict tombe :

— Nous allons devoir faire une césarienne. C'est urgent.

Florent est invité à quitter la pièce, et on m'explique rapidement ce qui va m'arriver. Je panique, mais le chef de service est confiant. Pendant que je patiente, allongée sur le brancard, il plaisante avec ses collègues :

— On pourrait peut-être remplir le dossier tout de suite, on gagnerait du temps ? Je dois être à Lyon ce soir !

Les infirmières rient. Les assistants aussi. Tout semble aller dans le meilleur des mondes. C'est une opération bégnine, maîtrisée. On ne m'endormira même pas en entier. Tout va bien se passer. En tout cas, c'est ce qu'ils me disent.

Ils s'affairent tous autour de moi, je ne vois que le visage de l'anesthésiste près du mien. De temps à autre, il me dit quelques mots rassurants, mais j'ai du mal à me concentrer sur leur sens. J'entends les bruits du bloc, les plaisanteries des médecins, leurs rires. A un moment, le chef de service me demande pourquoi j'ai des cicatrices sur le ventre. Je lui explique, brièvement, mes opérations passées. Je m'étonne, intérieurement, qu'il ne s'en souvienne pas. Elles sont pourtant dans mon dossier. De toute façon, il m'écoute à peine, tout occupée à faire rire son équipe. Je leur en veux. Je leur en veux d'être aussi détendus alors que je suis terrorisée. Je pense à ma fille, tapie dans un coin de mon corps, qui va bientôt être arrachée de mes entrailles, sans sommation. J'ai peur pour elle. J'ai hâte. Tout à la fois.

Soudain, les bips. Le regard de l'anesthésiste qui se fonce. L'agitation. Et cette phrase :

— Il y a eu un problème. On va devoir vous endormir. Elle va bien.

On pose ma fille près de moi. Je suis immobile, je ne peux pas la toucher. Du bout des lèvres, j'embrasse son minuscule crâne brun. Je sens une larme ruisseler sur ma joue. Elle est là, elle va bien. Juste après, on me l'enlève et on met un masque sur mon visage. C'est le trou noir.

J'ai du mal à te croireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant