81. Parler

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— Tu as trouvé un appartement?

— Non, j'ai beau chercher, personne ne veut me signer de bail, quatre enfants, un job mal payé...

— Tu es sûre que c'est la bonne solution, ce divorce, vous avez un si bel appartement! Vous ne pourriez pas arranger les choses?

— Mais maman, je t'ai raconté ce qui s'était passé! Il m'a jeté contre le meuble!

— Ça m'étonne vraiment de lui... Ça doit être sa nouvelle copine qui le pousse à faire ce genre de choses!

Je suis estomaquée. Même ma mère le dédouane. Ce n'est pas de sa faute, évidemment. J'essaie de faire entendre à ma mère que Florent n'est pas l'homme extraordinaire qu'elle pense. Elle ne m'entend pas.

—Il ne fait plus rien à la maison, maman. Il me demande de tout payer. Il hurle sans arrêt, il dit qu'il va me mettre dehors. Je n'en peux plus!

— Sois un peu gentille, toi aussi, essaie de ne pas le contrarier!

— Mais je ne fais rien, je m'occupe des enfants, de la maison, et en plus la nuit, je bosse!

— Oh, je te connais, tu as ton petit caractère!

La conversation est ubuesque. Je ne sais même plus quoi répondre. Florent est de plus en plus violent. Pas une journée ne se passe sans insulte. Je suis à bout de nerfs. Mais quand j'essaie enfin de m'en ouvrir autour de moi, tout le monde minimise, comme si j'avais l'habitude de raconter n'importe quoi. En un sens, ils n'ont pas tort. Je me suis bien racontée que j'étais heureuse pendant des années, sans raison.

— Mais enfin, il n'était pas comme ça, avant! Tu es sûre que tu n'as rien fait?

— C'est vrai ce que tu dis? Tu n'en rajoutes pas un peu?

Je n'en peux plus d'entendre ce genre de phrases à chaque fois que j'évoque la situation. Alors je finis par me taire. Je n'appelle plus personne à l'exception de quelques rares amies. Mais même avec elles, je n'ose pas dire toute la vérité. J'égrène des indices, et j'attends leur réaction. La vérité, c'est que j'ai encore et toujours honte. De m'être tu aussi longtemps. De ne pas avoir su protéger mes enfants. Et de vivre cela, encore et encore. Pourtant, quand je parle, plus personne ne m'écoute. "J'ai vraiment du mal à te croire" me dit-on encore et encore.

On croit que j'exagère, que j'affabule. L'image du gendre idéal est ancrée dans leur cerveau, indélébile. Si je n'avais pas mes enfants, je pense que je deviendrais folle, comme il aimerait me le faire croire. Mais eux savent la vie que nous menons ici. Pour eux, je dois tenir le coup. Demain, je visite un appartement chez un particulier. C'est la première fois qu'un bailleur me donne ma chance. Je dois garder la foi.

J'ai du mal à te croireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant