21. Melun

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Je touille mon café en regardant par le minuscule velux qui surplombe la forêt. Des tours. Notre appartement est situé tout en haut d'une longue pente, au fond d'une impasse. Au-dessous de nous, réside notre propriétaire, un type plutôt rustique et aviné, qui passe ses journées à faire des travaux dans son habitation. Bruyants, de préférence, bien entendu.

Nous sommes rentrés en France en plein mois d'août, en catastrophe. Dans l'urgence, nous avons laissé la plupart de nos affaires là-bas et avons vendu le reste. Mon patron a été compréhensif et ne m'en a pas voulu pour ce départ précipité. J'aurais préféré. Je me serais sentie moins coupable. La recherche d'appartement a été compliquée, sans garant ni caution. Florent ne souhaitait pas habiter trop loin de son nouveau poste, donc nous avions pour obligation de résider loin de Paris, en campagne. Nous ne sommes pas très bien desservis par les transports, la première station de RER est à trente minutes de marche. Mais comme Florent me l'a fait remarquer, ce qui compte c'est tout de même son accessibilité à lui, puisque moi, pour le moment, je n'ai pas de boulot.

J'ai envoyé des centaines de CV, mais je n'arrive même pas à décrocher un entretien. Cela fait maintenant cinq ans que j'ai terminé mes études, et dans la case expérience professionnelle, je n'accumule que des petits boulots alimentaires sans rapport avec ce que je suis censée savoir faire. Depuis que Florent a pris son poste, il ne s'habille plus qu'en costume. Je le trouve tellement beau, le matin quand il part. Ensuite, c'est le vide. Je reste seule dans cet appartement minuscule et sans fenêtre. Au-dessus de moi, le bruit continuel des avions me rappelle que la vie continue et que je suis vivante. Enfin, en théorie.

— Je travaille Dimanche.

— Pardon ?

— On fait une animation, pour les enfants des salariés...

Je le regarde avec circonspection. Depuis qu'il est entré en restauration collective, il n'a jamais travaillé le dimanche. Je ne peux pas croire que ce qui s'est passé quelques années auparavant pourrait recommencer. Pourtant cette idée me tord le cœur comme le ferait une lavandière d'une paire de draps.

— Et tu es le seul à y aller ?

— Non, il y aura aussi Audrey, ma chef de secteur.

Mon cœur manque un battement. Je lutte pour ne pas céder à la jalousie. Mais je ne suis pas une bonne combattante. Rapidement, ma gorge se noue.

— Ça recommence ?

— De quoi ?

Sur son visage, il n'y a aucune émotion. Ni inquiétude, ni remord. Seulement une grande lassitude. Je prends sur moi pour ne rien laisser paraître, mais j'essaie tout de même d'en savoir plus.

— Non rien, tu dis, Audrey...Elle a quel âge déjà ?

— Je ne sais pas. Vingt-cinq, ou vingt-six.

Je l'aurais préféré vieille. Très vielle. Momifiée, même.

— Et tu travailleras toute la journée ?

Florent se dirige vers la petite soupente qui nous sert de cuisine et se verse un verre d'eau. Il ne prend même pas la peine de me répondre.

— Tu m'as entendu ?

— Oui.

— Et tu ne sais pas ?

— Non, écoute tu verras bien. De toute façon, c'est pas comme si tu avais autre chose à faire que de m'attendre... Ça avance tes recherches ?

Je me renfrogne.

— Je n'ai pas eu de nouvelles réponses, aujourd'hui.

Il hoche la tête de façon soupçonneuse.

— Mais t'envoies vraiment à tout ce que tu trouves ?

Oui. J'envoie pour des postes dont la description me donne déjà littéralement envie de vomir. J'envoie pour des postes en plein Paris, qui me coûteront entre deux heures et deux heures et demie de transport. J'ai même hésité à recontacter mon ancienne boîte d'hôtesse. Rester enfermée ici toute la journée me rend dingue et je ne peux m'empêcher de regretter mon poste à Dublin, et mes collègues. Lorsque Florent rentre, il est épuisé. Il me raconte sa journée, dans laquelle il se plaint invariablement de ses collègues et de sa hiérarchie, puis il va prendre une douche. Moi, je ne raconte rien. Ça tombe bien, personne ne me le demande.

— J'envoie beaucoup, oui.

— Il va falloir trouver, là, ça urge.

Je songe spontanément aux belles promesses qu'il m'a faites en quittant Dublin. Son entreprise allait me donner un coup de main, il y aurait forcément un poste à ma mesure au sein du groupe. Et puis avec ses nouvelles responsabilités, il aurait un meilleur poste, un meilleur salaire. Rien ne serait un problème.

Ou presque.

J'ai du mal à te croireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant