11. Débordements

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— Je vais rentrer tard, ne m'attends pas, ok ?

Je soupire. C'est la troisième fois cette semaine. Et on est jeudi. La bonne nouvelle, c'est que Florent adore son nouveau boulot. Il est dithyrambique sur la qualité des plats et du service. Pour une fois, il ne se plaint même pas de son chef. Il est même mpmonté en grade! Il a désormais un nouveau poste avec de plus grandes responsabilités. Mais comme toute médaille a son revers, il fait de plus en plus d'heures. La semaine dernière, il est même allé travailler pendant son jour de repos ! Son absence me pèse, et j'ai du mal à faire taire mes angoisses à chaque fois qu'il me parle des jeunes et jolies serveuses qui travaillent à ses côtés. Je suis jalouse. Je le lui dis. Et cela donne parfois lieu à des scènes terribles.

De mon côté, je suis complètement stressée, je dois absolument trouver un stage de fin d'études et malgré les centaines de CV que j'ai déjà envoyé, personne ne me répond favorablement. Je commence à désespérer.

Je prépare mon plateau repas et m'installe devant le téléviseur. Il m'a dit de ne pas l'attendre, mais je sais d'avance que je le ferai. C'est ma seule occasion de le voir quelques heures et je ne veux pas m'en priver. Après mon dîner, j'appelle Manu, puis Gontran, avant de m'installer confortablement avec mes livres de droit. Je déteste cette matière, mais la somme de textes à apprendre par cœur est un excellent moyen de me changer les idées. Quand je bosse, je ne cogite pas.

Je jette un œil sur la pendule. Il est déjà une heure. Comme chaque soir, il a promis de m'envoyer un SMS en sortant, pour que je sache où il est, et si tout va bien. Je regarde mon téléphone. Rien. Je rallume le téléviseur et essaie de me concentrer sur une émission de variétés. Comme je n'y parviens pas, je prends un livre. Deux heures. Jamais il n' est sorti si tard du restaurant. En général, l'établissement ferme aux alentours de minuit. Le temps de faire le nettoyage, il est là vers une heure. Je me demande ce qui se passe. Je commence à m'inquiéter. Les pires scénarios s'écgaffaudent dans ma tête. Je l'appelle, mais il ne répond pas.

Trois heures. La clé tourne doucement dans la serrure. Je ne peux pas croire qu'il ne m'ait pas rappelé ! Je lui ai laissé une dizaine de SMS et presque autant de messages ! J'allume aussitôt la lumière. Il me dévisage, étonné.

— Tu ne dors pas ?

— Non, je m'inquiétais !

Il semble agacé.

— Je t'avais dit que je rentrerai tard, t'avais qu'à te coucher !

— Mais pourquoi tu ne m'as pas envoyé de SMS en sortant ? Je ne savais même pas si tu étais sorti ou pas ! J'ai cru que tu avais eu un accident !

Des larmes coulent sur mes joues sans que je n'ai le temps de les voir venir. Cela semble le contrarier encore plus. Il me répond sèchement :

— On a bossé comme des chiens, je suis crevé, j'ai oublié ! Tu vas pas me faire chier à cette heure-ci quand même ?

Alors que j'étais désespérée quelques secondes plus tôt, la rage s'empare tout à coup de moi.

— Non mais tu te fous de ma gueule ? Tu rentres à trois heures du mat la bouche en cœur et c'est toi qui vas gueuler ?

— Ouais, je gueule. Tu m'emmerdes avec ta jalousie maladive, tu devrais te faire soigner !

Un néon rouge s'allume dans mon cerveau. Pourquoi est-ce qu'il me parle de jalousie ? Je lui reproche seulement de ne pas m'avoir prévenu !

— T'étais où ?

— Au boulot, où veux-tu que je sois ?

Quelque chose est en train de germer au fond de mon cerveau, mais je n'arrive pas encore à mettre les mots dessus.

— C'est qui ?

Il me tourne le dos.

— Allez, ça commence...n'importe quoi !

Il commence à se déshabiller et se dirige vers la salle de bains.

— Reste là, réponds-moi !

Il ne se retourne même pas.

— C'est bon, il est tard, fous-moi la paix.

Je me jette sur lui et lui agrippe l'épaule pour qu'il se tourne vers moi.

— Dis-moi la vérité !

Je hurle comme une possédée. Il ne bouge pas d'un poil. Dans ma tête, tout se mélange, mes doutes, ses retards, les jours de congés travaillés, sa prise de distance... Je sens que je touche à quelque chose, mais c'est à lui de le formaliser. Il ne peut pas être aussi lâche.

Soudain, il se tourne vers moi. Son visage est méconnaissable. La rage qui l'habite est mille fois supérieure à la mienne. Je recule d'un pas, mais il me rejoint. J'ai peur. Je ne sais pas véritablement de quoi, mais c'est une peur physique. Celle d'un animal pris au piège. Tout à coup, il agrippe mes épaules et me projette contre le mur derrière moi. Ma tête cogne la pierre, je ressens une sensation d'étourdissement, puis je m'écroule au sol, sonnée.

— Pardon ! pardon !

Son visage menaçant a disparu. A la place, ce sont des pleurs d'enfant. Je ne comprends pas ce qui vient de se passer.

— Pardon, je n'ai pas fait exprès, je voulais juste te pousser, je ne pensais pas..

Les mots tournent dans ma tête. J'ai l'impression d'être spectatrice de cette scène et de ne pas pouvoir intervenir. Il m'embrasse et me serre dans ses bras.

— Tu vois ce que tu me fais faire... Je t'en supplie, pardonne-moi...

Ses pleurs ruissellent sur mes joues. A cet instant précis, il me paraît tellement vulnérable. Je ne peux pas croire que ce qui vient de se passer vient d'arriver. Evidemment qu'il ne l'a pas fait exprès. Il m'aime, ça se voit. C'est moi qui ai provoqué cette situation. Je suis une idiote. Si je continue comme ça, je vais finir par le perdre. Tendrement, il me prend dans ses bras et me dépose sur le canapé-lit. Je le laisse faire, sans parler.

— Ça va ?

Je hoche la tête. Malgré ce qui vient de se passer, je savoure la façon dont il s'occupe de moi.

— Tu n'as rien, pas vrai ?

— Non, ça va.

— Je te jure que je ne voulais pas ça. Je te le jure !

Je souris. Bien sûr que non. Il m'aime.

— Je te crois.


J'ai du mal à te croireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant