14. On déménage

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Je remets mon t-shirt noir et me réjouis de retrouver une apparence normale. Je déteste cet uniforme rose, qui me fait ressembler à une gigantesque barbe à papa. Anne, ma collègue, se moque de moi parce que même pendant la pause du midi, je ne supporte pas de le garder sur moi. Elle se moque totalement d'être vu avec. Quelquefois même, elle l'enfile au saut du lit et prend le métro avec. Pour moi, c'est juste impensable. Je déteste ce boulot. Même s'il m'a permis de me porter caution pour Florent et ainsi de nous trouver un nouvel appartement, j'ai toujours autant de mal y aller chaque matin. L'avantage, c'est que l'agence d'hôtesses m'a immédiatement signé un CDI. Grâce à ce Saint Graal, nous avons pu emménager quelques semaines plus tard dans un joli studio, dans un village du val de Marne. Nous avons même acheté des meubles. Je fais beaucoup d'heures supplémentaires. Elles sont payées double, ce qui me permet d'aider Florent à payer ses frais. Comme je le redoutais, ses parents ne l'ont pas aidé, et il doit faire face chaque mois a une saisie sur salaire qui le saigne à blanc. Pour joindre les deux bouts, j'ai pris un deuxième job, chaque soir. Je donne des cours d'anglais et de français. Florent et moi ne nous voyons pas beaucoup. Je pars de la maison à sept heures et ne rentre qu'aux alentours de vingt-et-une heures. Lui travaille en coupure. Il part vers neuf heures, fait une sieste entre quinze heures et dix-huit heures, puis rentre à minuit. On se croise à peine, il me manque.

Je ne trouve plus le temps de chercher du travail. Les centaines de CV que j'ai envoyées n'ont pas porté leurs fruits. J'étais un peu triste de quitter le club de recherche d'emploi, je commençais à apprécier les autres candidats. Mais d'un autre côté, j'ai la chance d'avoir un poste. Même s'il n'a aucun rapport avec mes compétences, je gagne ma vie. Les parents de Florent sont venus nous aider à déménager, son père ne m'a pas épargnée. J'ai eu droit à de longues et déroutantes tirades sur la vacuité du savoir et des études. J'aurais aimé que Florent, même une fois, me défende. Il ne l'a pas fait. Au contraire. Avant de partir, sa mère a exigé que nous les invitions au restaurant. Mon père, qui était là, en est resté bouche bée. Tous connaissent nos difficultés financières, aggravées par le fait que, seule caution du couple, nous ayons dû verser plusieurs mois d'avance à nos propriétaires. Mes parents m'on d'ailleurs donné un peu d'argent, pour nous aider à tenir. Pourtant Florent, grand seigneur, a pourtant décrété qu'il invitait tout le monde ! Ne voulant pas passer pour une pingre, je n'ai pas protesté. Cela n'a pourtant pas empêché la reine mère de se plaindre que nous avions choisi, selon elle, un restaurant bon marché. J'ai du lutter pour ne pas l'étrangler.

Chaque matin, je vomis. Et ce n'est certainement pas parce que je suis enceinte. Nos rapports sexuels sont aussi fréquents que la comète de Halley. Et aussi fugitifs, je le crains. Alors qu'il me répétait constamment que j'étais belle quelques années plus tôt, aujourd'hui, c'est à peine si Florent me regarde. Je fais partie des meubles. Je me trouve grosse, laide, et sans intérêt. Parfois, je me dis que j'ai vraiment de la chance qu'il reste avec moi.


J'ai du mal à te croireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant