48. Un vrai métier / Bis

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— J'ai un nouveau contrat !

— Ah !

C'est le troisième ce mois-ci, je suis folle de joie. Mes « petits dessins » comme les appelle Florent commence à avoir un peu de succès et cette fois, c'est un gros éditeur qui vient de me faire confiance. J'essaie de lui faire prendre la mesure de cette nouvelle :

— C'est une très bonne maison, ils sont distribués par Hachette ! Je vais avoir mon livre en librairie !

— Ah...

Rien ne semble pouvoir le tirer de l'observation de son écran de téléphone. J'abandonne et file le dire aux enfants.

— Mais maman, c'est génial !

— Il y aura ton nom sur le livre ?

— Et du coup, le nôtre ?

Au moins, eux sont enthousiastes. Je leur raconte avec délectation la petite aventure qui se profile à l'horizon, même si j'ai le cœur serré de ne pas pouvoir la partager avec mon mari. Nous vivons dans le sud depuis trois mois maintenant. Louis a sa chambre seul, comme promis, et Liam et Gabriel dorment ensemble. Nous avons acheté un lit superposé pour le salon. En dessous, un vieux matelas fait office de canapé. C'est laid, inconfortable et déprimant, mais Florent m'assure que ce n'est que temporaire. Pour la première fois depuis longtemps, il ne se plaint pas de sa hiérarchie. Son supérieur le laisse libre de ses mouvements et je n'en entends presque pas parler. Bien sûr, il considère que les équipes qui l'entourent n'ont pas son niveau, et me rabâche jour après jour à quel point il est lui est difficile de manager des incapables. Alors forcément, quand il est à la maison, il doit se détendre. Les enfants doivent être sages, la maison doit être propre, et lui doit en faire le moins possible. J'essaie d'aborder avec lui le fait que j'ai besoin de temps pour dessiner, mais il balaie systématiquement mes attentes d'un revers de main. Je n'ai qu'à faire ça le soir, quand tout le monde est couché. C'est ce que je fais déjà, mais je suis épuisée.

— Tu ne peux pas faire attention quand tu manges ? Tu veux t'étouffer ? regarde, t'en mets partout, c'est dégueulasse !

Louis regarde son père avec consternation. Je tente de ramasser ce qui est tombé près de l'assiette, mais Florent m'arrête.

— Arrête de le couver, il a huit ans ce gosse, et il sait pas bouffer ! Regarde où ça te mène de toujours tout faire à sa place ! C'est un gros porc !

Je reste comme une idiote, mon torchon à la main. Chaque repas est une épreuve. Il s'en prend systématiquement à Louis sur sa façon de manger, de se tenir, de s'asseoir. Tout est bon pour le réprimander et lui crier dessus. Les petits assistent à ces scènes, effarés. Ils ne mangent pas mieux que leur frère, ils le savent bien. Mais tout l'attention est systématiquement dirigée notre lui. A l'école, les résultats de Louis ont chuté. J'en ai parlé avec la maitresse, qui pense qu'il devrait consulter un psychologue. Elle pense que Louis est un enfant précoce, qui s'ennuie un peu avec ses camarades. Ce n'est pas la première fois que les enseignants me le font remarquer : il cherche la compagnie des adultes, pas des enfants, et a un peu de mal à se faire des amis. Au fond de moi, je ne peux m'empêcher de penser que ce n'est probablement pas à mon fils d'aller parler à un psy. A la fin du repas, je nettoie la table, range la vaisselle et couche les enfants avant de rejoindre Florent sur le canapé pour essayer de lui en parler.

— C'est quoi encore ces conneries ?

— Elle pense qu'il devrait passer des tests.

— Pour quoi faire ?

— Pour évaluer ses compétences.

Florent me regarde avec un désintérêt manifeste.

— Ah, ça va nous coûter combien, ça, encore ?

— Rien, c'est pris en charge.

Il hausse les épaules;

— A mon avis, ça sert à rien, c'est juste un feignant ton gamin. Pas étonnant avec une mère laxiste comme toi. Mais bon, si ça t'amuse...

Je n'essaie pas d'en dire plus. Il a déjà allumé le téléviseur et n'a plus le moindre intérêt pour ce que je lui raconte. Au milieu du film, il s'endormira et j'irais me coucher au dessus, sur le lit superposé. Nous n'avons pas fait l'amour depuis plus de six mois. Mais de quel amour parle-t-on au juste ?

Liam a une otite. Cela fait déjà une semaine que je le garde à la maison, mais sa fièvre ne descend pas. Le contrat que j'ai signé prévoit que je dois rendre mes illustrations à la fin de la semaine prochaine, et je suis très en retard. Une fois que j'ai géré les enfants et la maisonnée, j'essaie de m'y mettre quelques heures le soir, mais la lumière gène Florent, qui regarde la télé dans la même pièce. Alors j'attends qu'il s'endorme. Mais souvent, je m'endors aussi, épuisée. 38,5. Il n'ira pas à l'école aujourd'hui, et sans doute pas demain non plus. Je ne sais pas comment je vais m'en sortir. Je décide de prendre mon courage à deux mains et d'en parler à Florent :

— Je dois rendre mes dessins la semaine prochaine.

— Hein ? Quels dessins ?

— Les illustrations pour le livre jeunesse.

— Ah oui, tes trucs. C'est bien.

— Je suis en retard.

— Ah ?

— Liam a été malade toute la semaine, je n'ai rien pu faire...

— Ah.

— Tu ne pourrais pas le garder demain ?

— Attends tu plaisantes ? Tout le monde sait que tu es à la maison et que tu fous rien, je passerai pour quoi, moi ?

— Mais je ne fous pas rien, je...

— Oh arrête s'il-te-plaît !

— Mais tu as droit à des jours enfants malades, ça ne te couterait rien !

— Ecoute trouve un vrai boulot, et on verra.

— Mais c' est un boulot !

— Ils cherchent des pions au lycée. Postule.

La mort dans l'âme, je m'assoie près de lui sur le canapé et ne dis plus un mot. J'ai l'impression d'être une moins que rien. J'espère que ce soir il ne mettra pas trop longtemps à s'endormir, pour que je puisse enfin bosser.

J'ai du mal à te croireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant