J'ai du mal à te croire

79. Cas-contacts, bis

Nous ne sommes pas sortis depuis dix-sept jours. Alors aujourd'hui, aller faire un nouveau test PCR, c'est presque une récréation. Lise nous appelle tous les soirs, avec son père. Elle adore Nathalie, le chat de Nathalie et les jouets divers et variés que lui achète son père. Elle va bien. Elle n'a eu que peu de symptômes. Du moins, c'est que me raconte son père. Mais je le soupçonne de minimiser. Je n'ai plus aucune confiance en lui. Je me demande même parfois comment j'ai pu autant l'aimer.

Pendant qu'il coule le parfait amour à Avignon et joue au papa et à la maman avec ma fille, je gère le foyer. Les tests, l'école, le collège, la maison. Je m'excuse de ne pas pouvoir rendre mes planches, de retarder tel ou tel contrat ou tout simplement de devoir y renoncer. Les maigres revenus que j'étais parvenue à trouver fondent comme neige au soleil. J'espère ne pas être définitivement blacklistée.

Ma mère m'appelle presque tous les jours pour avoir des nouvelles de Lise. Et de Florent. Elle me pose des questions sur sa nouvelle petite amie, elle est blonde ou brune? Elle est jolie? Elle a quel âge? J'essaie de lui faire comprendre son indélicatesse, mais elle trouve ça normal. Je me pose beaucoup de questions sur ses réactions. Je ne sais pas si c'est de la curiosité mal placée, ou une façon de me faire de la peine. C'est déstabilisant.

J'ai demandé à Florent si cette fille est sa maîtresse depuis longtemps, il jure que non. Il prétend qu'il vient seulement de la rencontre via un site de rencontres. Qu'il ne la connaissait pas avant. Il m'a juré tellement de choses en vingt-deux ans de vie commune... Je ne sais pas s'il ment ou pas. Et pour être tout à fait honnête, je m'en fous. Je n'aime plus cet homme depuis longtemps. J'avais peur de le quitter, peur de perdre mes enfants. Peur d'être cette femme invisible et nulle qu'il m'a toujours dépeinte. Une idiote, sans travail, sans avenir, sans saveur. Mais je vois bien, sans lui, que j'ai des ressources insoupçonnées. Même si leur père leur manque, je vois aussi que mes enfants sont bien plus heureux quand il n'est pas là. Les repas se passent dans le calme. Je n'ai pas besoin d'élever la voix lorsqu'il y a un problème et ils m'aident naturellement aux tâches ménagères. Nous sommes une équipe, nous sommes sereins. Si Lise ne me manquait pas autant, j'aimerais qu'ils ne reviennent jamais.

— On est négatifs.

C'est presque un miracle, mais c'est pourtant vrai. Aucun de nous quatre n'a attrapé la maladie.

— Ok, alors on rentre.

— Quoi, déjà?

Ça fait à peine six jours que Lise a été testée positive. Même si je brûle d'envie de la revoir, je ne veux prendre aucun risque.

— Quoi, t'as pas envie de voir ta fille?

Son ton culpabilisant ne m'atteint plus. Je le connais trop.

— Vous ne pourriez pas faire un autre test avant de rentrer?

— Ah non, pas question, c'est désagréable!

C'est vrai que c'est désagréable. Surtout quand tu dois le faire deux fois, comme les garçons et moi. Surtout quand tu dois gérer la peur de tes enfants. Surtout quand l'infirmière te rate et que tu pisses le sang devant le centre de dépistage, tout en répétant que "non, ne vous inquiétez pas, les enfants, tout va bien" à tes gamins terrifiés. A nous cinq, nous avons fait dix tests. A cause de lui. Mais Florent refuse d'en faire un deuxième pour nous protéger. Parce que bon. C'est désagréable.