Ça fait au moins une heure que nous attendons devant la porte de l'immeuble, et comme sœur Anne, nous ne voyons rien venir.
— Tu es sûre que c'est la bonne heure ?
— Certaine.
Florent est anxieux. Nous arrivons tout juste de Connolly Station. Après un long périple dans le métro dublinois avec nos valises, nous avons enfin retrouvé le quartier. Nous avions rendez-vous ici avec notre propriétaire pour emménager. Il est injoignable. Moi aussi, je commence à être tendue. Nous venons de quitter Paris et notre appartement. L'essentiel de nos affaires tient dans deux valises, le reste a été mis en dépôt dans la maison de mes parents, qui acceptent de nous garder nos meubles pendant un an, le temps que nous allons rester ici.
Ça n'a pas été simple de partir. Florent n'a pas réussi à obtenir la mutation espérée. A la place, il a opté pour une année sabbatique qui lui permettra de retrouver un poste dans les mêmes conditions à son retour. Nous avons mis un peu d'argent de côté, pour assurer les premiers mois, mais il nous faudra rapidement trouver un emploi. Pour renflouer les caisses, j'ai été vendeuse dans un grand supermarché parisien. J'espère secrètement que cette nouvelle expérience me permettra de dénicher rapidement un petit job.
— Il est là !
Florent vient de crier, je sursaute. Pablo se gare juste devant nous, dans sa jolie voiture de sport décapotable.
— Désolé, j'ai eu un petit problème au travail !
Son français est impeccable.
— Pas de souci !
Nous le suivons à l'intérieur de la résidence, dans laquelle nous allons louer une petite chambre, en colocation avec Pablo et Angela, sa cousine. Le loyer de cette petite pièce est le même que notre appartement parisien, mais nous comptons sur le montant des salaires plus élevés en Irlande.
Je suis aux anges, persuadée que ce nouveau départ va nous faire du bien. Florent a participé à l'élaboration du voyage et à la recherche de logement. Pour la première fois depuis longtemps, je le sens investi dans un projet et j'ai le sentiment que cela va faire du bien à notre relation. Il faut dire qu'avant notre départ, les choses n'étaient pas faciles. J'ai encore pris du poids. Je fleurte allègrement avec la barre fatidique des soixante-dix kilos et je me sens très mal dans ma peau. Florent ne comprend pas mon problème. Alors que l'année dernière il me poussait à faire un régime pour un ou deux kilos en trop, maintenant que j'en ai pris dix, il dit qu'il m'aime comme je suis. J'avoue que j'ai du mal à savoir ce qu'il pense vraiment. D'autant plus que son désir pour moi, déjà si volatile, est devenu inexistant. A tel point que je me suis même demandé s'il ne préférait pas les garçons. Je sais, ça paraît stupide, cela fait déjà quatre ans que nous sommes ensemble maintenant. Je n'ose en parler à personne. De toute façon, je n'ai plus personne à qui parler. En septembre dernier, nous sommes partis en vacances avec Gontran et Manu. C'était la première fois que nous partions enfin ailleurs que dans la famille. Je me faisais une joie de ces vacances, mais tout est allé de travers. Manu est venue avec son dernier petit copain, un certain Michel, et ils n'ont pas quitté la chambre. Gontran boudait parce que son petit ami n'avait pas voulu l'accompagner, et Florent râlait contre tout le monde. Au final, Gontran a fini par partir au milieu du séjour, fâché, tandis que Manu et Michel nous ont totalement ignorés jusqu'au retour. Depuis, c'est silence radio des deux côtés.
Florent m'assure que nous ne perdons rien. Il a presque l'air heureux de nous savoir isolés. Il a parfois des accès de colère totalement imprévus, pendant lesquels il me traite comme une moins que rien. Puis il revient vers moi, plus amoureux que jamais, et me couvre de compliments. D'un jour à l'autre, tout peut changer, sans que je sache pourquoi. Lorsque j'essaie de lui en parler à tête reposée, il trouve sans cesse le moyen de se défiler. C'est le travail qui l'épuise, sa relation chaotique avec ses parents, et moi, bien sûr, qui ne suis pas facile à vivre. Je mets beaucoup d'espoir en cet épisode irlandais. J'espère qu'il va nous rapprocher.
Nous travaillons comme des dingues. Six jours sur sept, entre quarante et quarante-deux heures par semaine. C'est l'usage ici. Nous nous croisons à peine, quelques heures, le dimanche. J'ai trouvé un travail de secrétaire-comptable dans une entreprise française. Ce n'est toujours pas la carrière de mes rêves, mais je gagne plutôt bien ma vie. Et puis, pour être honnête, petit à petit, je crois que je commence à faire le deuil de mes illusions. Florent a déjà travaillé dans trois établissements. Ici comme à Paris, les relations avec ses employeurs sont difficiles. Il occupe désormais un poste intéressant, dans un très bon restaurant. J'espère qu'il y restera. Nos premières semaines ont été stressantes : nous ne trouvions pas de travail et nos économies fondaient à vue d'œil. J'ai bien cru que nous devrions rentrer en France bredouilles. Puis il a trouvé un premier poste, et le mien a suivi. Tout se passe vraiment très bien. A tel point que je n'ai plus du tout envie de rentrer en France. Mon patron me donne beaucoup de responsabilités. Ici, le fait d'être jeune n'est pas un frein, mais un atout. Alors qu'à Paris on reste débutant pendant des lustres, on ne nous demande ici que de faire nos preuves. Je me sens utile et indispensable. Ca fait un bien fou. Jules, le commercial qui travaille avec moi, est breton. Il habite ici depuis presque dix ans, et il ne retournerait en France pour rien au monde. Jour après jour, je crois que cette idée fait son chemin dans nos esprits : nous pourrions bien demeurer dublinois! J'ai même commencé à en parler à mes parents. Plus les jours passent, plus j'en suis persuadée : notre avenir est ici !
VOUS LISEZ
J'ai du mal à te croire
Narrativa generale« J'ai du mal à te croire ». La phrase tombe un couperet. Violente, inattaquable. La femme qui vient de la prononcer est pourtant une amie bienveillante qui ne me veut que du bien. Je mets plusieurs mois à l'encaisser. Je ne sais pas encore que cett...