J'ai trois jours de retard. Je viens de le dire à Florent et nous avons décidé d'acheter un test. Nous nous sommes promenés au bord de la mer avec les enfants et je suis rentrée subrepticement dans une pharmacie pour en faire l'acquisition. Maintenant, me voilà dans les toilettes, en train de faire pipi sur le batônnet en essayant de ne pas en mettre partout. J'espère de tout cœur que le résultat sera positif.
La vie rennaise me déprime un peu. Le climat, déjà, me donne le cafard dès le matin. Ce n'est pas une légende, ici, il pleut bien plus souvent que partout ailleurs. Mais c'est surtout le ciel blanc et bas qui me rend léthargique. Je ne me souviens même plus de la dernière fois où je suis sortie de chez moi sans prendre un parapluie.
J'ai commencé à chercher du travail, mais même la conseillère pôle emploi que j'ai rencontré n'a pas l'air convaincue de ma quête. Elle m'a tout bonnement conseillée de postuler...sur Paris ! J'ai pensé à une reconversion ou des formations, mais mon statut de travailleur indépendant ne me donne pas beaucoup de droits. Même au chômage. Alors même si je refuse de me l'avouer, j'ai perdu espoir. La carrière à laquelle j'aspirais ne verra jamais le jour, c'est indubitable.
Je suis devenue mère au foyer. Je fais des lessives, lave ma maison et regarde la télévision. Je lis aussi, beaucoup Mais cela ne suffit pas à combler ma vie. Mes amies me manquent. Paris aussi. Lorsque je le dis à Florent, il s'énerve. C'est bien moi qui l'ai poussé à postuler, je voulais un troisième enfant, non ? C'est vrai. Je n'ai que ce que je mérite. Alors ce petit plus sur le bâtonnet, je le mérite aussi.
Je suis fatiguée. Je ne sais pas si cela est dû à la grossesse ou à une grosse déprime, mais tous les matins, j'ai de plus en plus de mal à me lever. Pourtant, je ne suis même pas arrivée au terme des trois mois. Rien ne se passe comme prévu. L'annonce de cette nouvelle maternité a été accueillie avec froideur par la famille. Avec stupéfaction aussi. Mais pas avec l'enthousiasme qu'avait suscité l'arrivée de Louis et de son frère. Comme si avoir plus de deux enfants, c'était de la folie. On nous raille sur notre futur statut de famille nombreuse. On nous demande comment on va s'en sortir de manière logistique. Mais ce futur bébé ne semble intéresser personne.
Personne, à commencer par son père. Il travaille toujours plus, et se plaint encore une fois de sa hiérarchie. Sa supérieure est une femme, et il le vit très mal. Elle a une quarantaine d'années, une solide expérience et un caractère bien trempé. Il la déteste. De mon côté, j'ai cessé de chercher du travail. A quoi bon ? Je me bats régulièrement avec pôle emploi pour toucher mes indemnités. Un peu moins de deux cents euros par mois, qu'il me faut batailler bec et ongle pour obtenir. Demain, j'ai rendez-vous à l'agence. C'est à l'autre bout de la ville, je dois prendre deux trams et un bus. Je suis épuisée d'avance.
— On ne peut rien pour vous, madame...
— Mais le graphisme, c'est tout de même en rapport avec ce que j'ai fait avant !
— Les formations sont payantes, et il faut aller sur Paris dans la plupart des cas. Vous savez, ici, le marketing, c'est bouché depuis els années quatre-vingt de toute façon...
Je ressors de l'agence totalement démoralisée. Ma grossesse ne va pas tarder à se voir et à se savoir. Si je ne trouve rien aujourd'hui, le congés maternité va une nouvelle fois me passer sous le nez. Comment peut-on passer son temps à travailler et ne jamais toucher le moindre centime ? A peine ai-je poussé la porte de l'appartement que le cris m'assaillent. Je pose mon manteau à la hâte pour aller voir de quoi il retourne. Je trouve Liam en pleurs, recroquevillé dans un coin du salon, tandis que Louis est acculé dans un coin du couloir par son père. Il le maintient fermement contre le mur et lui hurle dessus de toutes ses forces. J'essaie de calmer le jeu :
— Doucement ! Il se passe quoi, au juste ?
— Je lui dis de ranger sa chambre et il refuse ! je vais lui balancer tout son bordel par la fenêtre à ce petit con !
J'essaie de me glisser entre Louis et son père, mais Florent m'en empêche.
— Arrête de le couver !
Louis serre les dents, mais je vois sur son visage que son père lui fait mal.
— Lâche-le !
— Je fais ce que je veux, c'est mon fils !
Les yeux de Florent sortent de leurs orbites. Il me fait peur. Du salon me proviennent les pleurs étouffés de Liam. C'est à moi de réagir. Et tout de suite.
— Lâche-le !
Je m'accroche au bras de Florent et y plante mes ongles. Il ne met qu'une seconde à se tourner vers moi. Dans ses yeux, je ne lis que du mépris. Puis, sans que j'ai le temps de le voir venir, il me pousse brutalement contre le mur. Mes reins touchent le crépi. Je vacille, mais ne tombe pas. La rage me maintient debout.
— Mais vas-y, frappe-moi ! Tape sur ta femme enceinte comme sur tes gosses ! C'est ça ton courage ?
Il ne réagit pas, puis soudain sort de la pièce et va s'enfermer dans la chambre.
Louis, effrayé, vient se réfugier dans mes bras où Liam le rejoint.
Nous sommes allongés l'un contre l'autre sur le canapé. Il a réapparu à l'heure du repas, sans donner la moindre explication. Quand j'ai tenté de mettre des mots sur ce qui s'était passé, il m'a fait comprendre que je devais me taire. J'ai obéi. Les enfants sont couchés et il a refusé d'en parler. Il dit qu'il est fatigué. Je me lève pour satisfaire une envie pressante. Dans les toilettes, je laisse étouffer un cri de détresse. Le papier est plein de sang. Je l'appelle à l'aide, instinctivement. Il ne vient pas. Lorsque je le rejoins, paniqué, il est toujours allongé, les yeux fixés sur le téléviseur.
— Je perds du sang !
— Ah...beaucoup !
— Pas mal... je... il est rouge...si ça se trouve, le bébé !
— Si ça se trouve, c'est rien du tout. T'as vu l'heure ?
Non, je n'ai pas vu l'heure. Et en fait je m'en fous un peu. Il ne comprend pas ce que je lui dis, ou quoi ?
— Je fais peut-être une fausse couche ! Il faut que j'aille à l'hôpital !
— Il est onze heures du soir ! Puis que tu ailles maintenant ou demain, ça change quoi ?
— Mais je perds du sang !
Je ne comprends pas son flegme. Des larmes coulent sur mes joues sans bruit.
— Alors vas-y maintenant, si tu veux, je garde les petits, grogne-t-il avant de me tourner le dos pour s'endormir.
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J'ai du mal à te croire
Ficción General« J'ai du mal à te croire ». La phrase tombe un couperet. Violente, inattaquable. La femme qui vient de la prononcer est pourtant une amie bienveillante qui ne me veut que du bien. Je mets plusieurs mois à l'encaisser. Je ne sais pas encore que cett...