Je suis morose. Manu vient d'annuler notre week-end ensemble et Gontran, depuis qu'il a un nouveau petit ami, écourte chacune de nos conversations. Au boulot, je ne me sens plus à ma place. Sabine critique systématiquement toutes les décisions que j'ai prises avant son arrivée, et ne se gêne pas pour me descendre ouvertement auprès de Michel. Heureusement, Franck et Anissa voient clair dans son jeu. Hélas, ce n'est pas le cas de Georges, sur qui ses décolletés plongeants et ses minauderies semblent avoir le plus grand effet. Je déprime. Alors que je me faisais une joie de me rendre au boulot tous les matins, c'est devenu une vraie tannée. Heureusement, notre voyage de noces approche. Contre l'avis de la reine mère, j'ai demandé que nous n'ayons pas de cadeaux de mariage classiques, mais une cagnotte pour nous payer un vrai et beau voyage. Nous avons installé une grande urne dans laquelle nos invités ont glissé leur enveloppe pour le Paradis. Ce qui a d'ailleurs donné lieu à une scène ubuesque, puisqu'à la fin de la noce, ma belle-mère a tout naturellement embarqué l'urne dans sa voiture et que nous avons dû lui courir après pour la récupérer.
— Mais je ne peux pas même pas lire les mots qu'on vous a laissé ? C'est tout de même incroyable ! s'était-elle emportée.
Aujourd'hui, je suis ravie d'avoir résisté. Cet argent nous permettra de visiter La république Dominicaine, un pays qui me fait rêver depuis des années. Ce sera la première fois que je prendrai l'avion, j'ai un peu la frousse. Je me demande d'ailleurs si mon ancienne responsable a eu le temps d'en parler avant son départ. Lorsque je lui avais soumis ma demande, elle m'avait donné son accord de principe, même si légalement, étant donné ma faible ancienneté dans l'entreprise, je n'avais pas encore droit à des congés. « Dans ce type de cas, on s'arrange » m'avait-elle dit. Comme Sabine entre dans mon bureau, je décide de remettre la chose sur le tapis.
— Au fait, tu sais que je ne serai pas là le mois prochain ?
Elle se tourne vers moi avec humeur. Ses yeux lancent des éclairs. Apparemment, non, elle ne sait pas.
— En quelle honneur ?
— C'est mon voyage de noces ! dis-je fièrement.
— Mais tu as été embauché en août dernier, non ?
— Oui.
— Alors, c'est impossible. Tu n'as pas encore droit à des congés.
Je mets quelques temps à intégrer l'information, puis je lui assure que tout cela a déjà été validé avant son départ. Elle jure qu'elle n'en a jamais été mis au courant. De toute façon, le mois prochain, je dois assurer un salon, il en est hors de question. Ensemble, nous allons frapper au bureau de Michel. Sabine lui expose ma situation, sans détour. C'est à peine s'il me lance un regard.
— Si vous êtes là depuis moins d'un an, vous n'avez pas droit de prendre des congés. Décalez !
La sentence semble incompressible. Une chappe de plomb vient de me tomber sur la tête. Et ça fait très mal.
Je rentre à l'appartement dans un état de nerfs indescriptible. Florent, allongé sur le canapé, est en train de regarder la télé. Je remarque du linge mouillé qui git près de lui dans une panière et que les restes de son goûter trônent encore fièrement sur la table basse. Je pète un câble.
— Tu peux pas ranger, un peu, des fois ?
Il me regarde, surpris. Depuis qu'il travaille beaucoup moins que moi, il a enfin mis la main à la pâte. Je suis injuste. Sans mot dire, il ramasse les détritus et commence à étendre le linge.
— Mauvaise journée ?
— Affreuse !
— Toujours à cause de cette Sandrine ?
— Sabine !
Ça fait trois mois que lui parle d'elle presque tous les soirs. Je ne peux pas croire qu'il n'arrive pas à retenir son prénom. Il sourit.
— Sabine, oui ! Allez, t'inquiète, dans un mois, on est sous les cocotiers !
Je blêmis.
— Non, justement. On va devoir décaler les dates. Elle m'a refusé mes congés.
C'est à son tour de perdre des couleurs.
— Tu déconnes ?
— Non.
Je soupire.
— C'est pas grave. C'est pénible, mais c'est pas grave. On n'avait pas encore pris les billets de toute façon, on partira plus tard.
Il n'est pas du même avis.
— Si, il faut qu'on parte à cette date-là, on n'a pas le choix.
— Pourquoi ?
— Il manquait un peu dans la cagnotte... J'ai fait un crédit.
Je ne comprends rien à ce qu'il me raconte.
— J'ai fait un crédit et si on ne part pas à cette date-là...on perd tout.
— Mais pourquoi tu ne m'as rien dit ?
— Je ne voulais pas... enfin c'était gênant. On devait chacun mettre une part en plus de la cagnotte, et je ne sais pas, j'ai pas géré...
— Mais on ne peut pas partir après ?
— Non.
Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas quoi faire. La vie m'en veut.
— Tu démissionnes ?
— Oui, Georges, je n'ai pas le choix.
— Mais pourquoi ?
Je n'ose pas lui dire que mon mari vient de contracter un crédit qui m'oblige à partir en voyage de noces alors que contractuellement je n'ai pas de congés. Je me sens ridicule.
— Je ne m'entends pas avec Sabine.
— Sabine ?
Il semble étonné. Evidemment, lui, il l'adore.
— Mais enfin on ne démissionne pas comme ça, c'est ridicule ! On doit pouvoir arranger les choses.
Non, on n'a pas pu. J'ai soldé mes heures et rangé mes affaires. Puis je suis partie bronzer sous les cocotiers.
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J'ai du mal à te croire
General Fiction« J'ai du mal à te croire ». La phrase tombe un couperet. Violente, inattaquable. La femme qui vient de la prononcer est pourtant une amie bienveillante qui ne me veut que du bien. Je mets plusieurs mois à l'encaisser. Je ne sais pas encore que cett...