— Ce n'est sans doute pas très grave, mais il vaut mieux vérifier.
Mon médecin généraliste est en congés, et c'est sa remplaçante qui m'a reçue. Lorsque je lui ai décrit les petites pertes de sang, je pensais qu'elle me parlerait de crevasses, ou d'un bobo de peau somme toute assez anodin. Il n'en est rien.
— Vous allez faire une échographie, et une mammographie.
Je sursaute. Une mammographie, c'est le truc qu'on fait quand on a un cancer, non ?
— Pourquoi la mammographie ?
Elle soupire.
— Pour vérifier... C'est peut-être un problème sur les canaux galactophores. Sans examen, je ne peux pas me prononcer.
J'acquiesce, désorientée. Après une longue négociation, Florent a accepté de garder Louis une petite demi-heure, le temps que je me rende chez le médecin. Si je ne veux pas qu'il me fasse la tête toute la soirée, je sais que je ne dois pas traîner.
— Vous allez vous rendre ici, me dit-elle dans un sourire compatissant. C'est le meilleur cabinet de Paris.
Je prends le post-it qu'elle me tend, puis je me dépêche de régler. Une fois sur le trottoir, je me sens désorientée. Je profite du calme de la rue pour prendre mon rendez-vous, puis je rentre chez moi en trottinant, pour que personne ne s'inquiète.
— Alors, c'est quoi ?
— Je ne sais pas, il va falloir que je fasse des examens.
— Quand ?
— J'ai pris RDV pour le mois prochain.
— Pas pendant mes heures de boulot, j'espère ?
— Non, bien sûr.
Je prends Louis dans mes bras et je le serre de toutes mes forces. Je tremble comme si quelque chose de sombre était en train de m'arriver. C'est absurde, pour l'instant, je n'en sais rien.
— Au fait, je sors samedi !
— Ah bon, où ça ?
— Avec des gars de la boîte, on va voir un spectacle sur Paris.
Mon cœur se serre, mais je ne dis rien. Depuis dix ans que nous vivons ici, il ne m'a jamais amené voir le moindre spectacle. Je le lui dis.
— ça tombe bien, il y a Radiohead qui passe bientôt à Bercy. Je pensais t'y amener.
Contrairement à lui, il le sait très bien, je n'aime pas particulièrement Radiohead. Mais j'imagine que c'est mieux que rien.
— Ah oui, super ! Mais qui garderait Louis ?
— Une collègue, ne t'inquiète pas, c'est une mamie absolument adorable, il sera ravi !
Je fais oui de la tête, même si en réalité je ne me sens pas particulièrement à l'aise à l'idée de laisser mon fils à quelqu'un que je ne connais pas. De toute façon, je n'aime pas Radiohead. Mais la perspective de faire autre chose avec mon mari que préparer sa nourriture ou détacher sa lessive, ça ne se refuse pas !
— C'est une petite tumeur.
— Une tumeur ?
— Oui, quelque chose de bénin, ne vous inquiétez pas.
— Et ça va partir tout seul ?
— Non, il faudra la faire enlever. Je vais vous donner le nom d'un très bon chirurgien, à l'institut Curie...
Le radiologue continue à parler, mais ses phrases ne forment plus qu'un brouhaha inaudible autour de moi. J'ai une tumeur, et je dois être opérée.
Lorsque je pousse la porte du cabinet derrière moi, je m'assoie quelques secondes dans la salle d'attente pour digérer la nouvelle. Je ne peux pas m'empêcher de penser au pire et surtout à Louis, si jeune, qui a encore tellement besoin de moi. Je prends le métro comme une automate, totalement groggy, puis je me dirige vers la halte-garderie où j'ai laissé Louis pour l'après-midi. Il m'accueille avec son sourire habituel et je prends sur moi pour ne pas pleurer. A l'appartement, Florent est déjà là, allongé sur le canapé, en train de regarder la télé.
— Vous arrivez tard ! Si tu avais prévenu, je serais allé le chercher !
— Il y avait du monde, et je ne savais pas quand je passerais ...
— Enfin, t'aurais pu appeler. Alors ? T'as quoi finalement, rien du tout, je parie ?
Tout tourne très vite dans ma tête. J'hésite à lui dire ce qui m'arrive. Je sais qu'il va le minimiser, pour finir par dire que je fais toujours des montagnes de pas grand-chose. Je sais que je n'ai pas la force de protester. En un éclair, je m'imagine mener courageusement un combat conter le cancer, seule, sans jamais rien dire à personne.
— Alors ? Ouhou, réveil ?
— Une petite tumeur. Bégnine.
— Ah merde.
Un silence s'installe quelques secondes.
— Au fait, j'ai pris les places pour Radiohead, et tout est Ok avec ma collègue, elle viendra garder Louis quelques heures ce week-end pour l'habituer. C'est pas génial, ça ?
— Si, top.
Absolument génial.
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J'ai du mal à te croire
General Fiction« J'ai du mal à te croire ». La phrase tombe un couperet. Violente, inattaquable. La femme qui vient de la prononcer est pourtant une amie bienveillante qui ne me veut que du bien. Je mets plusieurs mois à l'encaisser. Je ne sais pas encore que cett...