— Tu m'écoutes ?
Je regarde Aurélie avec un grand sourire. Non, pas du tout. Florent arrive cette après-midi et je n'arrive pas à penser à autre chose. Je n'arrive pas à penser du tout, d'ailleurs. Il me l'a annoncé au téléphone : suite à de gros conflits avec son chef, il a décidé de mettre fin à son contrat. Et... de venir me rejoindre pour vivre avec moi en banlieue! J'étais si heureuse que mon cœur a failli exploser. Il devait rentrer chez ses parents pour préparer ses affaires, puis me rejoindre la semaine suivante. J'ai compté chaque minute de cette semaine-là, mais à mon grand désarroi, ça a pris un peu plus de temps que prévu. Il avait des amis à revoir, des adieux à faire. Et au final, il s'est offert quinze jours de vacances avant de me rejoindre. Entre ses sorties en boîte et ses soirées entre amis, j'ai rongé mon frein. Jusqu'à me dire que peut-être, il allait finir par changer d'avis. Mais cette fois, c'est la bonne, il m'a appelé tout à l'heure, il est sur la route. Je suis la plus heureuse des filles !
Il s'est garé en face de la fac et je cours vers sa petite voiture, si chargée que les jantes touchent littéralement le sol. On dirait une comédie romantique. Et lorsqu'il me serre dans ses bras et m'embrasse, j'entends les rires amusés de mes camarades qui m'observent à travers le grillage. Ils glissent sur moi comme des poussières : même un tremblement de terre ne saurait gâcher mon plaisir !
Je le vois tous les jours. Quand je me lève et quand je me couche. Il a envoyé quelques CV mais il n'est pas pressé de trouver du travail, la capitale regorge de places de serveur, il n'aura que l'embarras du choix. En attendant, il profite des allocations chomage et je l'ai totallement à moi. A tel point que, de temps à autre, je m'autorise à sécher quelques cours pour passer plus de temps avec lui. Ce n'est aps très sérieux, mais c'est plus fort que moi. Je crois que je suis la plus heureuse des femmes. Venir s'installer ici, c'était le plus beau cadeau qu'il pouvait me faire. Cette fois-ci, j'en suis absolument certaine : Florent est l'homme de ma vie.
— Tu viens me chercher ?
— J'ai un dossier à rendre pour lundi...
— Tu bosseras demain, quand je serai au travail !
Je fais oui de la tête, pas très enthousiaste. Nous vivons ensemble depuis six mois. Florent a trouvé un boulot très rapidement, en plein Paris, dans un restaurant étoilé. Mais il part tôt le matin et rentre tard le soir. Ses horaires en coupure ne lui permettent pas de rentrer dans l'après-midi, et il est de repos lorsque je suis en cours. Nous ne nous voyons presque pas. Nous avons emménagé ensemble, mais j'ai l'impression que nous échangeons encore moins que quand nous vivions à des centaines de kilomètres ! Alors, de temps à autre, le week-end, je le rejoins devant son restaurant, dans l'après-midi et nous nous promenons sur les Champs-Elysées voisines. Ce soir, il aimerait que nous allions boire un verre dans Paris après son service. J'avoue que je n'en ai aucune envie. Pour aller jusqu'à son travail, je dois marcher une quinzaine de minutes jusqu'au RER. Si en journée cela ne me pose aucun problème, le soir, je ne suis pas très à l'aise. Un soir d'hiver, j'ai eu la déplaisante malchance de rencontrer sur la passerelle qui enjambe la Marne un exhibitionniste qui s'est amusé à me suivre sur quelques mètres. Depuis, j'évite de la prendre lorsque le jour se couche. Florent se moque de moi :
— Ça va, tu as déjà vu le loup, quand même !
Je souris. Mais en réalité, je ne trouve pas ça drôle du tout.
Le RER est désert. J'ai traversé la passerelle la peur au ventre, prête à partir en courant au moindre bruit suspect. Heureusement, je n'ai croisé personne. La gare était tranquille, tout comme la rame dans laquelle je me trouve. A l'exception d'un adolescent affalé sur la vitre quelques sièges plus loin, le wagon est vide. Je me détends un peu et songe au dossier interminable que je dois rendre pour le lundi suivant. Chaque soir, j'essaie d'attendre Florent quand il rentre, pour que nous puissions nous voir quelques instants. Mais le matin, je suis épuisée. Arrivée aux champs Elysées, je regarde ma montre. Nous nous sommes donnés rendez-vous à minuit, si je ne me dépêche pas, je vais être en retard. Je me presse de rejoindre la rue où il travaille et je me poste devant l'entrée de service. Par chance, il n'est pas encore sorti. Je m'appuie contre le mur et tente d'éviter les regards des types louches qui traînent dans le coin. On a beau être dans les beaux quartiers, à minuit, dans une rue mal éclairée, une jeune fille seule, ça attire toujours les prédateurs. Je regarde ma montre. Minuit et demi. Je fais quelques pas dans la rue pour me dégourdir les jambes, puis je me ravise. Il ne manquerait plus qu'on me prenne pour une prostituée. Un type me siffle. Je l'ignore. Une heure. Je commence à m'inquiéter. J'ai déjà envoyé deux messages à Florent, mais il ne m'a pas répondu. J'ai fait rapidement le tour du quartier, de peur de le rater, pour vérifier que sa voiture était bien garée à sa place habituelle. Ça fait tellement longtemps que je suis appuyée contre ce mur que j'ai la sensation de prendre racine.
A une heure et demie, enfin, mon chevalier servant émerge de la cuisine. Il est accompagné d'un de ses collègues. Je comprends qu'ils viennent seulement de terminer, alors je n'ose pas me plaindre. Il m'embrasse et m'attrape par les épaules, tandis qu'il dit au revoir à son ami. Nous nous avançons ensemble dans la rue. Après quelques pas, je comprends que nous prenons la direction de sa voiture.
— Mais ? On ne devait pas aller boire un verre ?
Son visage, si souriant quelques minutes plus tôt, se referme.
— A cette heure-ci ? Mais je suis crevé, moi, qu'est-ce que tu crois !
— Mais ça fait presque deux heures que je t'attends !
— Ben justement, si t'avais soif, t'aurais pu le boire avant, ton verre !
— Toute seule ? Non, mais on devait y aller ensemble, c'est ce qu'on avait dit !
Sa voix devient cassante.
— Attends, t'es venu pour moi ou pour que je te paie un verre ?
Je baisse la tête, vaincue.
— Pour toi, évidemment.
Il sourit.
— Allez, viens. On rentre.
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J'ai du mal à te croire
Aktuelle Literatur« J'ai du mal à te croire ». La phrase tombe un couperet. Violente, inattaquable. La femme qui vient de la prononcer est pourtant une amie bienveillante qui ne me veut que du bien. Je mets plusieurs mois à l'encaisser. Je ne sais pas encore que cett...