C'était un matin. Je n'aime pas faire l'amour le matin. Je suis encore dans les vapeurs de la nuit, je n'aime pas l'odeur âcre des corps, l'haleine chargée du réveil et la langueur tiède du sommeil qui s'éteint. Mais pour une fois, il en avait envie, alors je me suis dit qu'il ne fallait pas refuser cette chance.
Je viens d'acheter le test de grossesse, petit bâtonnet blanc et bleu sur lequel je dois aller faire pipi. Je devrais attendre demain matin, à jeun, pour avoir un meilleur résultat, mais je n'y tiens plus. Je suis seule avec Louis, comme d'habitude, mais je ne peux résister à l'envie de savoir enfin.
Je n'ai pas de retard de règles. J'ai même eu quelques pertes de sang cette semaine, comme si elles allaient arriver. Pourtant, je sais, tout au fond de moi, que j'attends ce bébé miracle. Celui dont je rêvais dans les salles d'attente de la cancérologie, celui à qui j'ai promis de donner le sein. Le petit frère de Louis, qui l'accompagnera pour le restant de sa vie. Lorsque j'ai évoqué l'idée, Florent m'a dit qu'il n'était pas contre. Ce n'est pas le merveilleux enthousiasme que j'espérais, mais j'imagine que c'est le maximum qu'il puisse m'offrir. Il espère avoir une fille, pour avoir ce « choix du roi » dont tout le monde parle. Ses parents ont eu un garçon et une fille, dans le bon ordre. J'imagine qu'il espère suivre cette voie. Moi, j'ai envie d'avoir un garçon. Parce que j'ai enfin compris tout ce que la vie avait de précieux, et que je voudrais avoir encore d'autres bébés. Si c'est une fille, je sais qu'il ne voudra pas d'autre enfants. Et moi, je veux fonder une tribu.
— Tu vas avoir un petit frère !
Je sais que je ne devrais pas lui en parler. Louis a à seulement deux ans et demi. Il comprend à peine ce que je lui raconte. Mais à qui d'autre pourrais-je le faire ? Nous passons nos journées en tête à tête, et c'est la personne avec laquelle j'ai le plus d'échanges, et de loin. Je saute partout comme une enfant. Très vite, il partage ma joie. Il ne sait sans doute pas ce qui va se passer, mais il est heureux, parce que je le suis. Je cherche avec affolement un reste de paquet cadeau dans la maison, pour emballer mon test. Je veux l'offrir à Florent quand il rentrera. Je veux qu'il sache que je vais lui faire ce magnifique cadeau, que nous allons une nouvelle fois partager cette fabuleuse aventure ensemble.
— C'est quoi ?
— Ouvre !
Il n'est pas de bonne humeur, comme à chaque fois qu'il rentre du travail. Ses sourcils se rejoignent pour montrer son agacement. Il n'apprécie pas ma mise en scène. Je ne dis rien, je suis toute à ma joie. Quand il fait la tête comme ça, je le trouve encore plus beau. Et je l'aime d'un amour indescriptible, qui pourrait me faire déplacer des montagnes.
Louis sourit. Lui, il sait.
Florent déballe son petit paquet sans ménagement, puis il observe, circonspect, le petit bâtonnet de plastique.
— Tu es enceinte ?
Je hoche la tête, transportée de bonheur.
— C'est génial, me dit-il en me serrant dans ses bras.
Dans ses yeux, je sais qu'il ne ment pas. Nous allons être parents pour la deuxième fois. Je vis un des plus beaux jours de ma vie.
— Je t'attends dans la voiture !
Je sais, j'ai l'habitude. Quand j'ai pris rendez-vous pour cette échographie de datation, je ne pensais même pas qu'il prendrait quelques heures pour m'accompagner. J'avais prévu de laisser Louis à la halte-garderie et d'y aller en transports. Alors, quand il a proposé de me déposer à l'hôpital, je n'ai pas demandé plus. Il me donne si peu que je prends désormais l'habitude de me contenter de ce que j'ai.
L'échographiste a du retard. Celle que j'ai consulté pour Louis est en congés, c'est sa remplaçante qui va me recevoir. Comme je ne note jamais la date de mes dernières règles et que j'ai eu ces pertes de sang inattendues, on ne peut pas savoir précisément de combien de semaines je suis enceinte. Même si moi, j'en suis persuadée. Nous n'avons fait l'amour qu'une seule fois en huit mois, comment pourrait-il en être autrement ?
Elle passe et repasse l'appareil sur mon ventre en prenant un air concentré. Je regarde l'écran, à la recherche d'un signe, mais je ne vois rien. A ce stade, de toute façon, si on n'est pas un professionnel, je doute qu'il y ait quoi que ce soit à voir. Elle va seulement me donner une date, pour les papiers. Mais en mon for intérieur, je souris. Je la connais déjà.
— Il n'y a rien madame.
Je mets quelques secondes à comprendre ce qu'elle essaie de me dire.
— Pardon ?
— Je ne vois rien. Soit vous vous êtes trompée sur la date de conception supposée, soit c'est un œuf clair.
— Quoi ?
— Vous avez eu des pertes de sang... Il est possible que la grossesse se soit arrêtée.
Pendant qu'elle retourne à son bureau, je me rhabille, sonnée.
— Il faudra refaire une prise de sang pour voir si votre taux a bougé, puis, en fonction, une autre écho dans dix jours.
— Alors, il n'y a pas de bébé ? réussis-je à articuler.
— Peut-être pas. Peut-être aussi que la date de conception est erronée.
— Non, je suis sûre de la date.
Elle sourit.
— Vous avez quel âge ?
— Vingt-neuf ans.
— A votre âge, j'imagine que vous avez des rapports fréquents ?
Je n'ose pas ajouter la honte à la tristesse. Je ne réponds rien.
— Ce serait bien inquiétant, sinon, pas vrai ? ajoute-t-elle dans un rire de gorge. La grossesse est probablement plus jeune que ce que vous pensiez. La prochaine échographie nous en dira plus. Et si ce n'est pas le cas, vous n'aurez plus qu'à recommencer !
Mon cœur est glacé. Mes mains aussi. Je suis un bloc de glace. Je sors de là avec une prise de sang à faire pour le lendemain. Ce week-end, nous partons en week-end en Irlande. Je me sens totalement vide.
Je raconte ce qui vient de se passer à Florent.
— Elle a dû se tromper...
Je ne sais pas s'il est véritablement confiant ou s'il essaie de me rassurer. Je me mets à pleurer.
— Ca sert à rien de pleurer, ça ne changera rien...
Non. Ça ne sert strictement à rien. Mais je lui en veux pourtant de ne pas pleurer avec moi.
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J'ai du mal à te croire
Fiction générale« J'ai du mal à te croire ». La phrase tombe un couperet. Violente, inattaquable. La femme qui vient de la prononcer est pourtant une amie bienveillante qui ne me veut que du bien. Je mets plusieurs mois à l'encaisser. Je ne sais pas encore que cett...