41. Urgences

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Je frissonne et referme mon manteau sur ma poitrine. La rue est déserte, il commence à pleuvoir. Je n'ai pas eu la force de me rendre aux urgences seule cette nuit. Le quartier mal famé m'en a dissuadé. Mais tandis que Florent s'endormait paisiblement quelques secondes après notre discussion, je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. J'ai fait des allers-retours aux toilettes toutes les dix minutes pour savoir si je saignais encore, puis je me suis imaginé tous les scénarios. Non, pas tous. Seulement les pires. A cinq heures, je me suis levée et habillée, puis j'ai réveillé Florent pour l'informer que je me rendais aux urgences. Il a grogné, il espérait ne pas avoir à garder les enfants ce matin, c'est le repas de Noël à son travail et il a beaucoup de travail. Je lui ai promis que j'essaierai de faire au plus vite.

La pluie commence à tomber de plus en plus fort. La clinique est à une vingtaine de minutes de la maison, et dans la précipitation, j'ai oublié de prendre un parapluie. Je suis morte de peur.

La salle d'attente est presque vide. Il n'y a, devant moi, qu'un jeune couple amoureux. Ils doivent avoir une dizaine d'années de moins que moi. La jeune femme touche son ventre avec angoisse, tandis que son compagnon tient son autre main, rassurant. Je remarque qu'il caresse le dos de sa main avec son pouce. J'imagine à quel point ce soutien doit être doux.

— C'est un petit décollement placentaire... mais il y a autre chose.

— Quoi ?

— C'est assez étrange...On dirait que votre artère utérine fait une petite hémorragie.

— C'est grave ?

— A ce stade, je suis désolé, mais on ne peut pas vraiment le savoir. Pour l'instant, le plus important, c'est que cela s'arrête. Il va falloir vous reposer, madame.

Je hoche la tête, mais en réalité, je ne comprends rien à ce qu'il me raconte. Je finis par poser la question qui me brûle les lèvres :

— Et mon bébé ? Il va bien ?

— Ce n'est pas encore un bébé... Avant trois mois, beaucoup de choses peuvent arriver.

— Mais qu'est-ce que je peux faire ?

— Rien. Essayer de rester couchée au maximum. Pas d'efforts, ni de fatigue.

Je me souviens tout à coup que je devais accompagner les enfants au repas de Noël cette année. Il était prévu que plusieurs mamans aident à préparer les plats toute la matinée, pour les déguster ensemble avec les enfants à la pause méridienne. Je le lui dis.

— Non, il en est hors de question, vous devez vraiment vous reposer. Le mieux, ce serait que vous rentriez le plus doucement possible en voiture, en évitant les dos d'âne de l'avenue, et tous les autres chocs.

Je sors de la clinique totalement déboussolée. J'appelle aussitôt Florent pour lui expliquer la situation. Au ton de sa voix, je comprends que je le dérange, il est en plein rush.

— Bon, ben du coup, il faut que je me tape d'aller chercher les enfants ce soir, alors ?

— Justement, je me demandais, comme je ne peux pas aider au repas aujourd'hui, peut-être que toi ? ça leur tient tellement à cœur...

— Non, c'est pas possible.

— Ok, je comprends. Le docteur a dit que je devais me reposer, et faire attention en rentrant, il ne faut pas prendre de dos d'âne...

— Ah non, mais moi, je ne peux pas venir te chercher ! C'est le repas de Noël aujourd'hui, si je suis pas là, mon second va tirer la couverture à lui et la chef va croire que c'est lui qui a tout fait !

J'avale de l'air, interdite. Il est vraiment en train de me dire ça ?

— Mais je rentre comment ?

— Ben tu prends le tram, comme tout le monde !

Je n'ai même pas le temps de protester. Il a raccroché.

Je me dirige vers la station de Tram. Je n'ai pas pensé à prendre une serviette de rechange ce matin. Je sens que ma protection hygiénique déborde. J'ai honte. Je pleure. Autour de moi, les usagers me regardent avec gêne. Je fouille dans mes poches. Je n'ai pas de monnaie. Les regards me pèsent. Alors je ravale mes sanglots et, à petits pas, je rentre chez moi à pied. Ma vie me pèse plus que la mort.

J'ai du mal à te croireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant