— Enfin !
— Je suis désolé, j'étais dehors avec Christian, je n'ai pas vu le temps passer.
— Tu devais m'appeler il y a une heure !
— Oui, mais on jouait au football.
Nous nous appelons chaque jour et nous restons de longues heures au téléphone, à parler de tout, de rien, mais surtout d'amour. Je me suis installée en septembre, avec l'aide de mes parents qui sont montés à la capitale pour m'aider à emménager. Je suis resté sur notre premier choix, le petit studio en bord de Marne et au jardin fleuri. La propriétaire est une vieille dame qui vit juste à côté, cela rassure mes parents de savoir que je peux faire appel à elle en cas de besoin. Depuis mon emménagement, je travaille beaucoup. Contrairement à mon ancienne université, ici, j'ai plus de trente-neuf heures de cours chaque semaine et de nombreux dossiers à rendre chaque mois. Les autres étudiants viennent de grandes écoles et sont habitués à ce rythme soutenu. Pas moi. Je dois avouer que j'ai du mal à me faire de nouveaux amis. La plupart de mes camarades vivent dans Paris et sont issus de familles bourgeoises. Je sens bien que mon statut de provinciale fraîchement débarquée en banlieue n'a rien de très attractif à leurs yeux. Florent me manque.
— Je vais devoir te laisser.
Ça fait seulement une quinzaine de minutes que nous discutons.
— Je sors avec Christian ce soir.
— Tu sors ?
Une veine inconnue est en train de taper sur mes tempes.
— Oui, on va boire un verre au bord de la mer, avec des copains.
— Quels copains ?
Au long silence qui suit ma question, je devine que la réponse ne va pas me plaire.
— Nico, Valérie...
Je déteste Valérie. C'est une vraie pintade qui couche avec tout ce qui bouge.
— ... et des copines à elle.
Encore mieux.
— Très bien, alors je te souhaite de passer une bonne soirée avec tes copines.
Mon ton est cassant. Je lutte pour ne pas hurler.
— Oh, Béné, ne le prends pas comme ça...
— Non, mais ça fait seulement une heure que j'attends connement ton coup de fil, toute seule dans mon studio. Tout ça pour un « allo bonjour, tu vas bien, désolé, je sors ce soir ». Excuse-moi d'être en colère !
— C'est bon...
Sa voix est joyeuse, presque badine. Je jurerais qu'il a un sourire moqueur sur le visage.
— Ouais, c'est bon, amuse-toi bien !
— Merci, bisous !
— Bisous
Il a raccroché. J'ai tellement froid en dedans que je pourrais remplacer mon congélateur. Je reste quelques minutes hébétée avec mon portable dans les mains, puis je décide d'appeler Manu. Elle travaille désormais à la poste de son village. Avec elle aussi, nous nous appelons chaque jour pour raconter n'importe quoi. Des n'importe quoi qui durent parfois une bonne partie de la nuit !
— Manu ?
— Salut, ça va ?
— Non.
Je lui expose brièvement la situation. Depuis toujours, Manu est ma confidente, celle à qui je décris absolument toutes les situations de mon existence. Et avec tous les détails. Normalement, elle est toujours de mon côté. Pas cette fois.
— Il sort, juste, Béné. Tu ne t'es jamais amusé, toi, pendant qu'on était à la fac ?
Si, bien sûr. J'ai passé des soirées à danser, à picoler et même à fumer des joints avec des inconnus. Mais jamais je n'ai envisagé de le tromper. Je me demande si c'est le cas pour lui aussi. Je comprends que je n'en suis pas sûre. Et ça me terrorise. Manu tente de me rassurer :
— C'est con à dire, mais vous êtes quand même à 800 kilomètres, alors, si ça doit arriver...
Je frissonne. Ça ne doit pas arriver. J'en mourrais.
— On en parle demain Béné, là, je suis crevée. Je bosse tôt. On se voit la semaine prochaine, de toute façon ?
— Oui, bonne nuit.
A peine m'étais-je installée que déjà elle prenait un billet de train pour venir visiter mon nouvel appart. Gontran viendra lui aussi, le week-end d'après. Depuis que je suis avec Florent, je les ai un peu négligés et j'ai hâte de les voir enfin. Je ne reverrai Florent qu'aux prochaines vacances, quand je descendrai.
Ça fait deux mois que nous ne sommes pas vu. Il est à peine apparu devant moi et déjà je lui tombe dans les bras. Je respire son odeur avec délectation. Mon Florent. Il m'a tellement manqué. Depuis quelques jours, il est parti s'installer dans un petit village à une cinquantaine de kilomètres de la ville. Il a trouvé là-bas un poste de commis dans un restaurant renommé. Chaque week-end, il rentre chez ses parents pour rapporter son linge sale et revoit ses amis. Une indépendance toute relative et mesurée qui n'est pas pour lui déplaire je crois.
Il me fait visiter son chez lui. Contrairement à moi, il ne vit pas dans un minuscule studio en rez-de-chaussée, mais dans une jolie maison de village sur deux niveaux. La décoration et les meubles ne sont pas très actuels, mais il y a de la place. Je m'extasie tout particulièrement sur la vieille cheminée au centre du salon : c'est si romantique ! Florent nous installe à la hâte avant de repartir travailler. Ce soir, c'est son anniversaire. C'est la raison pour laquelle j'ai traversé la moitié de la France à un prix insensé. Je n'aurais manqué ça pour rien au monde. Il est prévu que nous retrouvions ses collègues et amis en boîte de nuit un peu plus tard, après le service. En attendant, Manu est venu me tenir compagnie chez lui. Cela nous donnera l'occasion de nous pomponner, histoire d'être les plus belles de la fête !
Je la regarde en chien de faïence, mais elle ne semble pas le remarquer. Elle s'amuse à lui caresser la joue ou à lui papoter l'épaule de façon exagérée, comme si ça l'amusait tout particulièrement. J'ai les nerfs en pelote. Je n'ai appris sa présence qu'une fois dans la voiture. Samira, son ex petite copine. Rien de sérieux, pas de véritable histoire, à peine une idylle. Mais tandis que je me farcissais cinq heures de train payées avec un chèque en bois, il invitait son ex. La pilule est un peu dure à passer. Entre deux danses, je l'entraîne à l'écart.
— Tu étais vraiment obligée de l'inviter ?
Il me répond avec désinvolture, comme si cela n'avait pas la moindre importance :
— On s'est croisé par hasard, je lui ai dit qu'on serait ici ce soir... ce n'était même pas prévu !
Je bous.
— Et elle est obligée de te tripoter toutes les cinq minutes ?
Cette fois, il rit tout à fait.
— N'importe quoi, on est amis maintenant !
Je dois être rouge de colère. Manu, assise sur la banquette me lance des petits signes d'apaisement, tandis que les autres invités me regardent avec étonnement. Je suis en train de passer pour une harpie. Je me rassieds et essaie de prendre un air enjoué. Vu l'air goguenard que l'autre porte sur moi, ça ne marche pas. Lorsque tout le monde se lève pour aller se trémousser sur le dernier tube à la mode, je prétexte un mal de tête pour ne pas bouger. Florent ne s'en émeut pas outre mesure et rejoint ses amis sur la piste de danse. Seule à la table de la discothèque, je descends mon verre d'un trait. Puis j'avise la veste noire de Samira sur le dossier d'une chaise. Nonchalamment, je la fais tomber à terre et essuie longuement mes chaussures dessus.
Bien fait.
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J'ai du mal à te croire
General Fiction« J'ai du mal à te croire ». La phrase tombe un couperet. Violente, inattaquable. La femme qui vient de la prononcer est pourtant une amie bienveillante qui ne me veut que du bien. Je mets plusieurs mois à l'encaisser. Je ne sais pas encore que cett...