24. Enceinte

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J'ouvre péniblement les yeux et regarde ma montre. Sept heures, déjà. C'est l'heure à laquelle, presque chaque matin, les avions au-dessus de ma tête me forcent à me lever. Je descends l'échelle de la mezzanine d'un pas lourd et nauséeux. Il m'est de plus en difficile d'aller dormir sur le matelas sur le sol qui nous fait office de chambre. Je pense que je ne vais pas tarder à m'installer sur le clic-clac dans le salon. A chaque marche, je redoute une chute qui me ferais perdre ma précieuse cargaison. Car je suis enceinte.

Mini-moi s'est installée en moi au mois de décembre, alors que je ne l'attendais plus. Une absence de règles, un test en laboratoire et enfin les résultats : un bébé ! Je suis folle de joie à l'idée de donner naissance à un autre être humain. Florent l'est tout autant. Il ne parle que de son fils et de son nouveau statut de père, dont il se gargarise. Passé l'excitation des premiers jours, je dois avouer que je suis bien moins enthousiaste. Avec mon gros ventre, j'ai du mal à marcher autant qu'avant, et j'ai dû mettre mon activité au ralenti. Les transports en commun m'épuisent. La solitude aussi. Tout, en réalité. La journée, j'ai sans cesse la nausée et de douloureuses remontées acides m'empêchent de trouver le sommeil. Physiquement, je suis grosse, exténuée, et j'ai des cernes de vingt pieds de long. Je ressemble à Beetle Juice.

Nous avons enfin fait une demande de logement social, par le travail de Florent. Cela a donné lieu à de nombreuses disputes. Je ne me vois pas accueillir ce bébé dans notre logement actuel. La pente, impraticable avec une poussette, les nombreux escaliers à monter avec un bébé dans les bras, les escaliers de la mezzanine, la seule et unique pièce en soupente... Tout cela me semblait être de sérieux freins à l'accueil d'un petit être innocent. Mais Florent refusait de réclamer quoi que ce soit. Il ne veut jamais rien demander, à personne. Je n'arrive pas à comprendre que sa fierté et son ego puissent passer au-dessus de ce type de considérations. Pourtant, c'est bel et bien le cas.

J'ai finalement eu gain de cause, mais à quel prix ! Je suis déjà à six mois de grossesse, et j'ai bien peur que mon bébé naisse à Melun. Souvent le matin, je me réveille en pleurant. Des angoisses viennent me chercher pendant la nuit, et elles ne me quittent pas jusqu'au matin. Je me demande si j'ai fait le bon choix. Je voulais ce bébé plus que tout, mais était-ce réellement le bon moment ?

Lorsque j'essaie d'en parler avec Florent, comme à son habitude, il ne m'écoute pas. Il vient de démissionner de son poste de gréant, pour incompatibilité d'humeur, et travaille désormais dans les Hauts de Seine. Moi, je passe mes journées enfermées dans un minuscule appartement pour rien. Je ne peux pas m'empêcher de lui en vouloir. Ce poste merveilleux qui nous a forcé a quitter Dublin n'a été qu'un feu de paille comme les autres. A la première difficulté, il a fui et démissionné. Là encore, dans le nouvel établissement où il a été affecté, il a des frictions avec sa hiérarchie. Plus le temps passe, plus j'ai du mal à croire que cela vient toujours des autres...

Je bois mon café en regardant le ciel, par le velux. Il est gris et bas, il va sans doute pleuvoir. Je n'ai pas de cours aujourd'hui, et la perspective de rester ici dans un semi-obscurité me déprime au plus haut point. Une larme s'échappe de ma joue. Pour essayer de me changer les idées, je me connecte à internet, sur un groupe de jeunes mamans qui, comme moi, accoucheront au mois d'août. C'est ici que je trouve le seul et unique réconfort de ma journée, dans des échanges avec de parfaites inconnues qui semblent me connaître mieux que mon propre conjoint.

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Je monte les escaliers, haletante. Il ne nous reste plus que quelques cartons et nous serons enfin chez nous. L'appartement a deux chambres, et est situé tout près de la coulée verte, dans les hauts de Seine. Ici, Louis aura sa chambre. J'ai hâte de l'aménager enfin, avec de jules meubles et des jouets pour bébé. Mon ventre est de plus en plus rond. Je vais accoucher à la fin du mois. Je dois avouer que je suis morte de peur à cette idée. J'ai suivi tous les cours de préparation à l'accouchement, mais je me demande encore comment un bébé de quarante ou cinquante centimètres va s'extirper de mes organes internes sans que je ne meure. Même si, bien évidemment, je suis au courant que la quasi-totalité de l'humanité s'en est bien tirée. Florent, lui, ne semble pas soucieux. Il adore dire à tout le monde qu'il va être papa. Je me demande même parfois s'il est au courant que moi aussi, je vais être maman. Il ne me parle plus que de son fils et de leur future relation. Et malheur à moi, si j'ose me plaindre, ce ne sont que des bobos, j'ai la chance d'attendre un enfant !

J'ai quelquefois la sensation d'être un immense incubateur humain. Comme si depuis le début, il n'attendait que ça de moi. Il ne me regarde plus, me parle à peine. Quant à me toucher, il en est hors de question. Je suis devenu la mère de son fils. Et après, qui serais-je ?

J'ai du mal à te croireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant