15. Un vrai métier

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Ça fait quinze fois que je me change, et je ne sais toujours pas ce que je suis censée mettre. C'est inespéré. Je viens de décrocher un entretien pour un emploi jeune dans le nord de Paris. C'est dans une association et je serai la seule employée. Ce n'est pas exactement le poste dont j'avais rêvé, puisque c'est payé au SMIC et que c'est encore bien loin de mes rêves de carrière. Mais l'opportunité de quitter enfin cet abominable uniforme rose me donne des ailes. Florent n'a pas l'air aussi enthousiaste que moi.

— Mais tu te rends compte que tu seras payée moins qu'aujourd'hui ?

— Oui, mais je pourrai faire des flyers, des affiches... Même si je ne serai pas à proprement parler graphiste, ça aura au moins un rapport avec mes études !

— Ouais, enfin, pour être payée au SMIC.

Je ne comprends pas son attitude. Ça fait des mois que je pleure chaque soir en rentrant, parce que je déteste mon travail. Je pensais qu'il me soutiendrait.

— Je pourrais continuer les cours, ça mettra du beurre dans les épinards !

Il a une moue dubitative et je n'insiste pas. Je pars à la recherche de mon tailleur gris, celui que je dégaine inlassablement à chaque entretien d'embauche.

— Et tu en as pour longtemps ?

Je le regarde, surprise.

— Je ne sais pas, une heure, à peu près. Plus, si ça marche. Pourquoi ?

— C'est mon jour de congés, j'aurais préféré qu'on passe la journée ensemble.

— Viens avec moi, on mangera ensemble après !

Il me fixe d'un air ennuyé.

— C'est loin, ça me saoule de faire tout ce trajet et de t'attendre.

Je hausse les épaules.

— Fais comme tu veux.

Finalement, j'ai opté pour mon tailleur violet. Après tout, le gris ne m'a pas tellement réussi jusqu'à présent. Dans le métro, j'essaie de me rappeler toutes les conditions évoquées dans l'annonce. Je veux vraiment avoir ce poste. Florent m'a accompagnée. Il m parle de son travail et de son chef avec qui il ne s'entend pas. Il vient encore de changer, parce qu'il ne s'entendait pas non plus avec son ancien gérant. Je l'écoute d'une oreille distraite.

— Tu t'en fous de ce que je te raconte ?

— Non, je t'écoute...

— Ça se voit pas !

Je l'envie tellement de pouvoir changer de boulot à chaque fois que quelque chose ne lui convient pas ! Nous sommes à Paris depuis cinq ans maintenant, et il a travaillé dans plus de dix restaurants. Pendant ce temps-là, j'envoyais des CV à tire-larigot, mais personne ne voulait de moi. Je commençais presque à me dire que ses théories sur l'inutilité des études universitaires étaient fondées. Ce n'est pas mon premier entretien. J'en ai passé une bonne quinzaine, toujours couronnés d'échecs. Il y a eu ce palace parisien, où j'ai postulé pour être aux relations publiques. L'entretien avait été un franc succès. Jusqu'à ce que la responsable me demande quel était mon carnet d'adresses. Je n'en avais pas. Je n'ai pas eu le poste. Il y a eu aussi cette fameuse boîte de pub, dans laquelle j'avais toujours rêvé de travailler. Le jeune publicitaire qui m'a reçu a passé une demi-heure à dénigrer mes diplômes, comme s'il n'avait pas lu mon CV. Pour finalement m'annoncer qu'il ne prenait de toute façon que des gens qui sortaient des grandes écoles. Et tous les autres... Où on m'a demandé quelle était la profession de mes parents, si j'étais mariée, si je voulais avoir des enfants et surtout, inlassablement, pourquoi j'enchaînais les petits boulots depuis mon diplôme. Pour eux, occuper un poste de standardiste pendant trois ans, c'était le signe que je ne valais pas mieux. Alors ce poste-là, même au SMIC, même à deux heures de chez moi, je le voulais. Et je l'ai eu.

J'ai du mal à te croireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant