Je suis officiellement une femme mariée. Tout s'est passé très vite. La mairie, la canicule, l'apéritif, le repas... Tout s'est enchaîné à toute vitesse, jusqu'à la nuit de noces où nous n'avons pas été capable de partager autre chose qu'un tendre baiser. Les mois qui ont précédé le mariage ont été lourds de tension. L'omniprésence de ma belle-mère a pesé sur notre couple. A tel point que je me suis demandé, à un moment, si je n'étais pas en train de faire la pire erreur de mon existence. Elle a tenté de tout régenter, jusqu'à la liste des invités. Elle a même obtenu de son fils un lot de faire-part vierge, pour les distribuer à qui bon lui semblait. L'attitude de Florent m'a déçue. A aucun moment, il n'a pris ma défense ou a été de mon côté. Même s'il me rejoignait en privé sur la plupart des points, en public, il ne pipait mot. Il était arrangeant. J'étais l'emmerdeuse.
Jusqu'à notre lune de miel, où nous avions prévu de partir quelques jours en Italie, dès le lendemain du mariage. Sa mère ayant prévu un repas de famille, elle s'y opposait. Florent a tenté de repousser notre départ pour céder à ses caprices, mais je m'y suis fermement opposée. Que l'on parte ou pas, à son repas du dimanche, elle aurait peut-être le marié, mais pas la mariée ! Sans moi, il a préféré annuler.
Nous avons visité le nord de l'Italie, jusqu'à Venise. L'argent collecté lors de la jarretière nous a permis de loger dans d'accueillants petits hôtels et même de faire un tour en Gondole. Avant de partir, nous avons passé une dernière nuit à Padou. Ce soir-là, sa mère nous a appelé, rageuse, pour que nous rentrions avant le lendemain : elle devait distribuer les dragées à ses amies de toute urgence ! Heureusement, ma mère lui a cédé une partie des siens, et nous avons pu rester. Sans cela, je crois que Florent aurait immédiatement fait nos valises.
Je viens de commencer mon nouveau job. J'adore. L'équipe, essentiellement masculine, a à peu près le même âge que moi. Ma responsable est adorable et compréhensive. Et ici, tout le monde se tutoie, de la standardiste au directeur ! La seule chose qui me pose un tant soit peu problème, ce sont les horaires. Je dois terminer chaque soir à dix-sept heures, mais bien souvent les réunions traînent en longueur. Cela ne me poserait pas de problème particulier si Florent n'avait pas décidé, chaque soir, de venir me chercher pour m'éviter le trajet en bus. Chaque retard donne lieu à de froides disputes. Et j'ai beau lui dire que je peux très bien prendre les transports, il n'en démord pas et m'attend tous les soirs devant la porte. Si je proteste, je passe pour une ingrate. Il travaille désormais en restauration collective et a des horaires bien plus compatibles avec la vie de famille. 6h – 15h00. Et il ne travaille plus les week-ends ! Son salaire a un petit peu diminué, mais clairement, en termes de qualité de vie, il n'y a pas photo !
— Moi, je ne marierai jamais !
Je regarde Olivier en souriant.
— Et pourquoi ?
— Je suis un électron libre !
Toute la table éclate de rire.
— Un électron, pare définition, ça bouge, ça butine. Toi, tu es juste célibataire ! s'écrie Franck.
Nous rions tous de bon cœur. Je déjeune tous les jours avec les mêmes personnes, Olivier, Franck et Anissa. Olivier et Franck ne manquent jamais une occasion de nous faire rire et Anissa, comme moi, est bon public. Je ne me suis jamais sentie aussi bien dans une entreprise. Et pour ne rien gâcher, j'adore ce que je fais. Ma responsable m'a annoncé tout récemment qu'elle était enceinte de jumeaux. Elle me forme actuellement à assurer l'intérim pendant son congés maternité. C'est une grossesse inespérée. A trente-neuf ans, après de nombreuses FIV, elle désespérait de pouvoir être mère un jour. Elle m'a laissé entendre à plusieurs reprises qu'elle n'était pas certaine de reprendre son poste. Je suis aux anges.
— Je vous présente Sabine.
Je me lève pour aller saluer la nouvelle arrivante. Je ne savais pas que nous attendions quelqu'un. Personne ne m'a prévenue. Elle me tend une main courtoise, mais guindée. Je me demande si c'est une nouvelle développeuse.
— Sabine et vous allez travailler ensemble.
Je la regarde plus attentivement. Vêtue d'un pantalon serré et d'un blazer court, elle est trop maquillée et n'a pas l'air avenante. Elle ne ressemble pas du tout à une future commerciale. Et si Georges embauchait, il m'aurait sûrement tenu au courant. Je ne vois pas du tout de qui il peut s'agir.
— Sabine est attachée de presse. C'est elle qui va remplacer Lina, votre responsable, en son absence.
Les bras m'en tombent. Lina est en congés maternité depuis trois mois, et j'ai repris la totalité de ses dossiers. Avant son départ, elle m'a formé et briefé sur tout ce que nous avions en cours et sur ce que nous aurions à mettre en place. Je n'arrive pas à comprendre ce que me dit Michel. Je le regarde avec la bouche ouverte, comme un poisson hors de l'eau. Il ne semble pas s'en émouvoir.
— Sabine est une amie de longue date. J'espère que vous saurez lui faire le meilleur des accueils.
Je ne sais pas quoi répondre. Ça tombe bien, je crois qu'il n'y avait pas de question. En quelques secondes, ils sortent du bureau pour continuer les présentations au reste de l'équipe . Anissa me regarde d'un air désolé.
— ça, c'est un coup dur...
Effectivement. Je n'ai jamais caché mon ambition de remplacer Lina. Même au-delà de son congés maternité, puisqu'elle m'avait confié ne pas vouloir revenir. Je suis anéantie.
— Je vais y aller...
Georges me regarde d'un œil complice. Il sait que Florent m'attend chaque soir sur le parking, ce n'est plus un secret pour personne. Il me fait un petit signe disant que je peux y aller. Sabine, elle, ne semble pas être de cet avis.
— Tu vas où ?
Depuis qu'elle a intégré l'entreprise, elle est sans cesse derrière mon dos et tente de traquer chacune de mes fautes. Manque de bol, j'en fais très peu, contrairement aux innombrables fautes d'orthographe qui émaillent ses dossiers de présentation.
— Je finis à dix-sept heures...
— Oui, mais là, tu vois bien qu'on n'a pas fini !
— Mais on m'attend !
— He bien, on t'attendra ! La réunion se poursuit !
Discrètement, j'envoie un message à Florent pour lui dire que je ne sortirais pas à temps. Sa réponse ne se fait pas attendre :
— Mais je suis déjà sur le parking. Sors !
— Je ne peux pas, je suis en réunion !
— Tu as fini depuis cinq minutes ! Je ne vais pas poireauter là toute la nuit !
— Ca ne vous intéresse pas, Bénédicte, ce qu'on raconte ?
J'ai l'impression d'avoir huit ans et de me faire gronder par la maîtresse.
— Si, si, je préviens seulement mon mari.
Sabine a un reniflement excédé.
— Rentre, je vais prendre le bus.
Je suis sur le parking, mais il n'y a personne. Hier soir, je suis sorti de réunion à dix-huit heures trente. Il n'y avait qu'un bus toutes les demi-heures. Le temps de rentrer, il était presque vingt heures. Florent avait déjà mangé. Vexé, il ne m'a pas adressé la parole de la soirée. Alors ce soir, je me suis dépêchée de sortir en catimini, pour éviter le nouveau débriefing quotidien. Je vais sans doute me faire remonter les bretelles, mais tant pis. Après tout, je termine à dix-sept heures, c'est dans mon contrat ! Je suis arrivée sur le parking à dix-sept heures tapantes, fière de montrer à Florent que cette fois, je suis ponctuelle. Mais force est de constater que personne ne m'y attend. Je m'assoie sur un muret et compose un texto :
Je suis sorti
J'attends sa réponse, mais elle ne vient pas. Il doit être au volant. Au bout d'une dizaine de minutes, je décide de l'appeler.
Salut, c'est moi, tu es où ?
A la maison.
Ah...je viens de sortir.
C'est bien. Prends le bus.
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J'ai du mal à te croire
General Fiction« J'ai du mal à te croire ». La phrase tombe un couperet. Violente, inattaquable. La femme qui vient de la prononcer est pourtant une amie bienveillante qui ne me veut que du bien. Je mets plusieurs mois à l'encaisser. Je ne sais pas encore que cett...