67. Nice

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L'appartement est magnifique, avec de hauts plafonds et de beaux volumes. Nous sommes en plein cœur de la ville, dans des bâtisses classées monuments historiques. Le cadre est idéal. Nous sommes arrivés avant-hier et je défais les cartons avec les enfants. Florent est déjà retourné travailler. Il ne prend officiellement son poste que dans deux jours, mais il tient à faire bonne impression. Je me débats un peu avec les meubles à monter et les petits monstres à surveiller, mais parfois, le week-end, il me donne tout de même un coup de main. Il n'a même pas essayé de dormir dans la chambre. Il a pris ses marques sur le canapé, comme avant. Moi dans la chambre du fond. J'ai la sensation d'être en colocation. Il passe la plupart de ses journées le nez plongé dans son téléphone portable. Je ne sais pas ce qu'il y fait. Lui-même ne semble pas capable de me l'expliquer. Mais c'est sans doute bien plus intéressant que moi ou nos enfants. Il n'y a qu'à table que j'arrive à le lui faire poser. Et encore. Il trouve tout de même le moyen d'aller vérifier son écran si vient à sonner une notification.

Dans ma tête, c'est le fouillis. Je hais la personne avec qui je vis. Mais je garde de l'affection pour le genre idéal que j'ai connu. Nous vivons ensemble depuis presque vingt ans, je ne m'imagine pas vivre sans lui. J'en ai parlé, à mots couverts, à une amie d'Avignon. Elle m'a mise en garde : seule et sans moyen, avec quatre enfants, qu'est-ce que j'allais devenir ? Alors en secret, j'ai commencé à feuilleter les petites annonces. Mais je n'ai pas travaillé depuis dix ans. Florent a raison, je suis dépassée. L'illustration me donne un peu d'argent de poche, mais pas de quoi subvenir aux besoins de quatre enfants. Pas même aux miens, pour être honnête.

Et surtout j'ai peur. De me tromper, de faire le mauvais choix. Lise a à peine quatre ans. Est-ce que c'est juste pour elle, de ne plus vivre avec son père et sa mère ? Est-ce que je ne devrais pas attendre qu'elle grandisse, qu'ils grandissent, tous, avant de penser à moi ?

Florent, la plupart du temps, fait comme si je n'existais pas. Il rentre, me parle de son travail et de ses collègues, puis joue sur son téléphone ou s'allonge devant la télévision. Pendant les vacances scolaires, il joue au tennis. Moi, je grapille quelques heures, à droite à gauche, pour finir mes planches. Je pleurniche auprès des éditeurs pour avoir des délais. Je pleurniche auprès de Florent pour qu'il s'occupe des enfants quelques instants. Et je pleurniche seule, devant mes planches, épuisée d'avoir trop pleurniché. Je ne sais pas ce que je dois faire. Et surtout, je n'ai personne à qui parler. Je me dis parfois que j'aurais dû partir dix ans plus tôt. Et que désormais, il est trop tard.

Une pleurnicheuse.

J'ai du mal à te croireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant