42. Immobilisation

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— Mais tu ne peux pas au moins les emmener à l'école ?

— Je dois rester allongée le plus possible.

— Mais comment on va faire ?

— Je ne sais pas, je peux demander à ta collègue, elle amène sa fille tous les matins, peut-être qu'elle peut...

— Ah non, pas question ! Qu'est-ce qu'elle penserait de moi ! Bon, écoute, je vais me débrouiller, je les amènerai !

Je soupire, soulagée. Mes pertes de sang se sont un peu calmées dans la journée, et j'ai espoir que els choses rentrent enfin dans l'ordre. Je veux ce bébé de toutes mes forces. C'est pour lui que j'ai abandonné Paris et me rêves de carrière. Pour lui encore que je vis cette stupide vie de femme au foyer que je déteste. Je m'accroche à mon bonheur futur comme une noyée à une planche en plein océan.

— Au fait, je me suis renseignée pour la voiture, j'ai trouvé ce qu'il nous faut !

Il a trouvé un nouveau jouet et ses yeux brillent comme ceux d'un enfant. Pendant un instant, je me dis même qu'il semble bien plus heureux de s'acheter une nouvelle voiture que d'avoir un enfant. Puis je chasse aussitôt cette pensée de mon esprit. Comment est-ce que je peux être aussi méchante ?

Il me montre les photos en souriant, et je vois en lui un petit garçon exalté devant un arbre de Noël. Je le trouve beau. Doucement, je me rapproche et me glisse entre ses bras. Il s'en aperçoit à peine. Il est en train de se demander quelle couleur il choisira pour la carrosserie. Je le laisse parler sans vraiment écouter. Il a cette barbe de trois jours qui me fait craquer et surtout cette étincelle dans le regard qui me fait fondre. Je l'aime. Je ne sais pas faire autrement.



Mon ventre me tire. J'ai habillé Liam et aidé Louis à se préparer. J'ai préparé les petits-déjeuners, les cartables et j'ai rempli le lave-vaisselle. Florent ne va pas tarder à arriver, pour les amener. Je regarde l'horloge avec appréhension. Quand il arrive, il est souvent en retard et toujours très pressé. Les enfants doivent être prêts, sinon je sais qu'il va les gronder. Et moi avec. On est loin de l'immobilisation totale que m'avait prescrit le docteur.

— Allez, c'est juste une balade !

— Mais je dois rester couchée !

— On peut seulement l'essayer aujourd'hui ! On fera super gaffe !

Florent me tanne depuis une demi-heure pour que j'aille essayer la voiture qu'il envisage d'acheter. Le garage lui a prêté pour la journée et il tient absolument à me montrer combien elle est parfaite. Mes pertes de sang se sont arrêtées, mais je reste inquiète. Je le lui dis. Aussitôt, il prend un air de victime à qui on a cassé son jouet.

— C'est pour toi que je l'achète cette voiture, tu sais. Pour les enfants ! C'est quand même la moindre des choses de venir l'essayer !

— Mais je dois rester couchée !

— Tu es restée couchée toute la semaine ! Tu peux bien me faire plaisir cinq minutes !

Je me sens coupable. Au fond de moi, je sais que je ne devrais pas. Je me suis levée tous les matins pour préparer les enfants quand il se contentait de faire le trajet de cinq minutes qui nous sépare de l'école « parce que sinon, que penserait ses collègues ? ». Il a même pris un service du soir, cette semaine, en me laissant seule avec eux. Mais bien malgré moi, son visage accusateur me prend aux tripes. Je suis celle qui gâche le plaisir de tout le monde. Celle qui ne fait jamais le moindre effort. J'ai honte de ne pas être à sa hauteur.

— Ok, mais on ira doucement ?

— Promis.

En rentrant, je saigne à nouveau. Je meurs de peur. De honte. De regrets. je me hais d'être aussi faible. Alors je me garde bien de le dire à qui que ce soit.

J'ai du mal à te croireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant