J'avais tout organisé, planifié, réfléchi. J'avais même trouvé des billets de train low cost. Mon premier vrai salon international. Des dédicaces, en vrai, des éditeurs, des illustrateurs... J'allais rencontrer un petit bout de ce monde qui me faisait tant rêvé. Quand la maison d'édition m'avait adressé l'invitation, j'avais sauté de joie. ET aussitôt, je m'étais prise à rêver et à organiser cette journée, lumineuse. Il n'y avait qu'une seule ombre au tableau : le train que je devais prendre était à 6h00 du matin, et il n'y en avait qu'un par jour. Pour la première fois depuis longtemps, je ne pourrais pas amener les enfants à l'école ce matin-là. Pour ne pas ajouter de frais supplémentaires, j'avais appelé une amie qui accepterait de m'héberger, le cas échéant. J'expose la situation à Florent.
— Mais comment on va faire avec les petits ?
— Ben du coup, je me demandais si toi...
— Tu n'as qu'à rentrer le soir même.
— Mais j'ai trois heures de train !
— Désolé, mais moi je travaille.
Son visage est fermé, définitif. Il n'a pas envie de m'aider. Je pourrais lui rétorquer que moi aussi, je travaille. Mais je sais déjà que cela finira en dispute où il me traitera de folle, ou d'hystérique, et où finalement rien ne changera. Et je travaille double.
Je n'ai pas de patron. Pas d'horaires. Pas de huit heures par jour.
Mais aussi pas de pauses. Pas de RTT. Pas de congés maladie.
Et pas de salaire.
Pourtant, je suis corvéable sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Alors aujourd'hui, j'ai eu l'impudence de demander deux jours de congés, pour la première fois en huit ans.
Et ils ne m'ont pas été accordés.
Ce n'est qu'une goutte dans l'océan de mes maux, mais elle fait déborder le vase.
Alors hier soir, j'ai eu besoin de m'exprimer, besoin de lui faire comprendre. Pour ne pas subir son mépris de plein fouet, je lui ai écrit.
« Puisque tu ne veux pas me parler, et encore moins m'écouter, j'ai décidé de t'écrire tout ce que j'avais sur le cœur. Sache qu'en tapant ces mots je pleure, je pleure parce que je suis malheureuse comme les pierres, et que je n'ai personne pour me consoler, depuis bien trop longtemps. Je pleure parce que je n'ai personne à qui parler, que si j'ouvre mon cœur personne, ne me répond. Mes larmes ne font que t'ennuyer un peu plus, toi que je dérange déjà tellement en te demandant un peu d'attention.
Nous ne nous parlons plus. J'imagine que cela te convient, tu ne t'en plains pas. Si je le souligne, tu me dis que non. Mais tu seras bien en peine de retrouver le sujet de notre dernière conversation. Elle n'existe pas. Nous ne faisons plus l'amour, là encore, tu sembles trouver cela normal. En tout cas nous n'en parlons pas plus que du reste. Quand les enfants sont là, c'est les cris et le désordre. Mais quand ils ne sont pas là nous n'avons rien à nous dire. Tu me parles un peu de ton travail, par morceaux choisis. Tu ne sais presque rien sur mon activité d'illustratrice, et tu ne demandes rien. La seule chose que nous avons encore en commun, la chose la plus précieuse à mes yeux, ce sont nos enfants. Mais nos enfants t'énervent, t'agacent. Tu languis qu'ils se couchent, qu'ils disparaissent. Plus aucun repas n'est agréable, les fins d'après-midi sont emplies de cris, de punitions, et de gros mots. Tu crois que Louis en est le seul responsable. Pas moi. Les matinées ne sont pas parfaites, les mercredis non plus, mais rien n'est pire que lorsque tu es là. J'en suis venu à détester les week-ends, et l'idée de vacances m'horripilent, car ça se passe toujours mal, de plus en plus mal. Tu laisses exploser ta colère et Louis la sienne, pendant ce temps les plus petits en pâtissent, car soit ils sont laissés pour compte, soit ils subissent à leur tour tes accès de violence. Je ne peux pas rester sans rien faire quand tu t'en prends systématiquement à eux pour n'importe quoi. Et je ne veux pas toujours te contredire, pour ne pas saper notre autorité commune. Bref je suis sans cesse en train de jouer les arbitres ou de réparer les pots cassés, et c'est épuisant nerveusement. Entre crises d'angoisse et eczéma, tu ne peux pas ignorer que je ne vais pas bien. Mais pour toi, tu fais un effort parce que tu ne les frappes plus, et tu me le rappelles dès que j'essaie d'aborder le sujet. Je ne peux pas comprendre en quoi ne pas frapper ses enfants est un effort, même si quand tu le dis cela semble être un exploit, comme si tu ne pouvais pas faire mieux.
Tu me dis que tu es fatigué, je te propose de prendre des vacances, de m'occuper d'eux exclusivement, pour que tu te reposes. Tu rejettes ma solution, sans explication. Je ne peux pas t'obliger à me parler. Je ne peux pas t'obliger à être gentil, à t'intéresser à moi, à eux. Même ma détresse te laisse de glace, comme celle de ton fils ainé. Je ne peux t'obliger à rien. Ni à m'aimer, ni à être heureux. Quand je te pose la question, tu me dis que tu n'en sais rien. Même si tu ne me l'as pas demandé, sache que je ne le suis pas. Et tant que j'étais la seule à être malheureuse, ce n'était pas si grave. Mais il faut croire que c' est contagieux. Et moi je ne sais pas regarder pleurer ceux que j'aime sans les consoler.
Je ne sais pas si tu auras eu le courage de lire jusque-là. Je l'espère. Aujourd'hui je ne sais pas si tu m'aimes encore, ni quelle valeur tu donnes à ce mot. Je ne veux plus de cette vie. Je veux vivre avec quelqu'un qui me parle et qui m'écoute, et qui fasse de même avec mes enfants. Je ne peux plus supporter que l'on ignore ma détresse et mes appels à l'aide, ou que l'on piétine nos pleurs. Si tu ne peux pas être cette personne, dis-le moi, et je n'attendrais pas en vain.
Voilà c'est brouillon, mais j'ai essayé. Si malgré tout ce soir tu ne trouves rien à me dire, ce n'est pas grave, je comprendrais. Mais je crois qu'il sera temps pour nous de penser sérieusement à une séparation, en faisant au mieux pour nos enfants. »
Il n'a rien dit. Il l'a lu, mais ne m'en a pas parlé. Il est rentré, m'a serré dans ses bras et a fait comme si de rien n'était. Ce soir nous avons couchés les enfants un peu plus tôt que d'habitude. Je pensais que nous allions avoir une vraie discussion. Mais sitôt entré dans le salon, il a allumé la télé. Je n'ai plus envie de faire le premier pas. Mon appel à l'aide d'hier était explicite, et c'était le dernier. Sans sonner comme un ultimatum, je pense qu'il était clair que je demandais de l'écoute. Je n'en aurais pas. Tant pis.
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J'ai du mal à te croire
General Fiction« J'ai du mal à te croire ». La phrase tombe un couperet. Violente, inattaquable. La femme qui vient de la prononcer est pourtant une amie bienveillante qui ne me veut que du bien. Je mets plusieurs mois à l'encaisser. Je ne sais pas encore que cett...