72. Déconfinement

95 3 0
                                    

— Mais maman, pourquoi tu viens plus avec nous?

Je ne sais pas quoi répondre. Florent les amène à la plage tous les jours, et moi je suis assignée à résidence. Comme je n'ai pas de voiture, je ne peux pas les emmener où bon me semble. Même si on leur a signifié notre volonté de divorcer, les enfants ont du mal à comprendre cet été si particulier.

— Elle peut pas venir avec nous, maman? implore une nouvelle fois Lise à son père.

— Maman a du travail.

C'est vrai, je n'ai jamais autant travaillé que depuis quelques semaines. Même si je sais que ce n'est pas par plaisir qu'il passe du temps avec eux, je suis tout de même contente de savoir qu'il s'en occupe, même juste un peu. En réalité, il me prive d'eux, et c'est ça qui lui fait plaisir. A la plage, d'après ce que me dit Louis, il est comme à la maison : allongé, avec son précieux téléphone dans les mains. Mais au moins, les enfants prennent l'air et profitent un petit peu de leurs vacances. Après ces longues semaines ponctuées d'insultes et de violence, ça ne peut que leur faire que du bien.

— S'il-te-plaît, papa...

Florent hésite. Depuis quelques jours, il leur joue la comédie du père parfait, qui leur achète à peu près tout ce qu'ils veulent et leur paye des mcdo. Comme si cela pouvait effacer des années de désintérêt. Le plus étrange, c'est que cela m'atteint, malgré tout, de voir mes petits si heureux avec leurs nouveaux jouets.

— Si elle trouve le temps, elle n'a qu'à venir!

Une nouvelle fois, il me fait passer pour la mauvaise mère qui n'a pas de temps pour ses enfants. De la femme entretenue et oisive, je suis devenue une carrièriste égoïste qui ne pense qu'à elle. Quelle que soit l'étiquette qu'il me colle, elle est toujours négative. Je ne devrais pas, il va sans doute me le faire payer, il veut que je dise non. Mais je saute tout de même sur l'occasion de passer un peu de temps avec eux. Lise est aux anges. 

Je me prépare en vitesse et monte avec eux en voiture. Cela fait au moins deux mois que je ne les avais pas accompagnés quelque part. Sous couvert de me laisser travailler, il s'arrange pour m'écarter de tout. A la plage, je reste dans l'eau avec mes enfants, à jouer. Je n'ai aucune envie de vivre un tête à tête mortifère avec Florent. Quand il me parle, c'est pour m'insulter, désormais. Je suis une nymphomane, une garce, une connasse, une idiote et j'en passe. C'est tellement habituel que je ne retiens plus les termes, ils glissent sur moi sans me toucher. Je n'arrive pas à trouver un appartement. Mes maigres revenus ne me permettent pas d'accéder au parc locatif privé, et les logements sociaux sont saturés. Alors en attendant, je serre les dents.


— Maman, viens voir!

Je me tourne vers Gabriel sans regarder devant moi et je sens quelque chose heurter mon pied. Un rocher sans doute. Mais lorsque je sors de l'eau, je vois la surprise se dessiner sur le visage de Louis.

— Maman, tu saignes!

C'est plus qu'un simple bobo. La plante de mon pied est entaillée sur plusieurs centimètres. Florent soupire.

— Il ne manquait plus que ça!

J'essaie de me faire toute petite. Pour une fois que je les accompagne, je n'attire que des ennuis. J'essaie de faire un point de compression sur la plaie, mais cela continue à saigner abondamment. Je crois que je vais avoir besoin de voir un docteur. Florent le comprend aussi.

— Bon, on a pris le pique-nique, alors on va quand même manger!

Je mange mon sandwich sans appétit. Le sang qui coule à gros bouillons de mon pied ne m'inspire pas confiance. Autour de nous, les gens nous regardent bizarrement. J'ai un peu honte. Quand nous avons terminé, Florent dit aux enfants de ranger, non sans préciser que c'est de ma faute si nous partons plus tôt. Il va me déposer aux urgences au passage, je n'aurais qu'à l'appeler en sortant.

Cinq heures et dix-huit points de sutures plus tard, je suis de retour chez nous.

Confinée pour un mois de plus.

J'ai du mal à te croireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant