55. Fièvreuse

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— J'ai froid... J'ai eu des sueurs froides toute la nuit.

— Je sais bien, c'est la morphine. Vous me dîtes ça tous les jours, madame !

— Mais là, plus...

L'infirmière me prend la fièvre en souriant. Elle est gentille. Hier, elle m'a lavé les cheveux. Depuis mon arrivée, j'étais lavée au gant, mais personne ne s'était préoccupée de mes cheveux. Quand elle les a brossés, j'aurais pu pleurer tellement cela me faisait du bien. Elle m'a massé les jambes, aussi. Mes cuisses sont toutes bleues, à cause des piqures quotidiennes contre les phlébites. Je dois me lever, tous les jours, et faire quelques pas dans le couloir. C'est plus Florent qui me soutient que moi qui marche, mais on m'y oblige, chaque jour. Hier, une gynécologue m'a même sévèrement réprimandée. Elle dit que je m'écoute trop, que je dois me bouger. Je lui ai répondu que la poche dans laquelle s'écoule mon urine, collée contre ma jambe, ne m'y engage guère. Elle a ri. Pour elle, ce n'est qu'un petit désagrément. Des gens portent ça toute leur vie, de quoi est-ce que je me plains ? Elle dit que cela ne m'empêchera pas d'amener les enfants à l'école, ni de faire les courses. Je dois me bouger. Si je le veux, je le peux. Alors chaque jour, je me force à parcourir le couloir comme une vieille dame. Hier, j'ai même baigné ma fille. C'était un vrai supplice, mais j'ai serré les dents. Pour tous, je devais afficher sur mes traits le bonheur de la mère réjouie. Mais à l'intérieur, je souffrais.

L'infirmière fronce les sourcils.

— Qu'est-ce qui se passe ?

— Vous avez de la fièvre, j'appelle un interne.

Elle me laisse là, tremblante, pour aller demander de l'aide. Florent ne dort plus ici. Cela fait déjà dix jours que je suis hospitalisée, il a dû reprendre le travail. La nuit, quand ma fille crie, je dois appeler les puéricultrices pour pouvoir la nourrir. Je suis incapable d'aller jusqu'au berceau seule. Parfois, j'attends longtemps, impuissante face à ce petit bout de moi qui hurle sa faim et sa solitude. Je me sens dépossédée de tout.

Quelques minutes plus tard, la jeune infirmière revient, rassurée.

— Rien de grave, je vais vous donner un peu de doliprane.

J'acquiesce du regard. Je leur fais confiance, ce sont des professionnels.

— Ca fait déjà dix jours que vous êtes là ?

C'est une nouvelle sage-femme ce soir, je ne l'avais jamais vu.

— Oui

— Et vous n'en avez pas marre ?

— Si

Lise pleure. Elle fronce les sourcils.

— Vous n'allez pas la chercher ?

J'ai honte.

— Je n'arrive pas à me lever, toute seule.

— Enfin, quand vous allez rentrer chez vous, il va bien falloir !

Je tente de lui expliquer :

— Il y a eu un problème lors de la césarienne, j'ai fait une hémorragie et j'ai une poche, et...

— Oui, vous savez, ce n'est pas exceptionnel ce genre de choses !

De mauvaise grâce, elle me fait passer ma fille.

— Ce n'est pas bon pour vous de rester ici, je vais vous faire sortir !

— Mais j'ai de la fièvre, on attend mes résultats d'analyse.

— He bien, vous les recevrez chez vous, et en attendant, vous prendrez un doliprane, je vais préparer les papiers !

Sans attendre de réponse, elle sort. Je suis partagée entre l'envie de rentrer chez moi, et la terreur de ne rien pouvoir assumer. Les enfants sont venus me voir plusieurs fois, et je suis incapable de m'en occuper. J'ai même du mal à leur parler. Quand Liam et Louis se sont disputés bêtement au pied de de mon lit, je me suis mise à pleurer, en disant qu'au lieu de voir ça, j'aurais sans doute mieux fait de mourir. Même Florent, qui voulait les laisser dans ma chambre quelques heures parce qu'il avait des choses à faire à l'extérieur, s'est résigné à les ramener à mes parents : je n'étais pas prête.

Ma sortie n'a pas été acceptée. La sage-femme, penaude, a eu l'air de s'être fait disputer pour cette initiative. Elle est venue me dire que je ne sortais pas. Je ne sais pas si je suis triste ou soulagée. Je ne sais plus rien.

J'ai du mal à te croireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant