27. La vie de rêve

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Louis a eu un an hier. C'est le plus beau bébé du monde. Blond avec des grands yeux bleus, on dirait un enfant de magazine. Il rit beaucoup, souvent. Comme pour me rassurer et me dire que je suis une bonne mère. J'ai pourtant tellement de doutes... Il est souvent malade. Otites, rhumes, régurgitations... Quand il ne va pas bien, j'annule mes cours, pour rester près de lui. Mes revenus déjà aléatoires s'amoindrissent à vue d'œil, mais je n'y accorde plus d'importance. Pour Florent non plus, ça ne compte pas. Il souhaite avant tout que je sois au côté de son fils, pour son bien-être. Lui travaille beaucoup et rentre tard. A la maison, il délègue beaucoup, mais ce n'est pas de sa faute, il est fatigué.

Une chose m'obsède en ce moment, ce sont mes kilos de grossesse. Un an après l'accouchement, ils sont encore là et je ne parviens pas à m'en débarrasser. J'ai beau enchaîner les régimes de tout poil, ils ne veulent pas partir. En tout cas, pas de façon définitive. Je me sens terriblement complexée. Lorsque j'en parle à Florent, il me répond rapidement que tout va bien. Mais il ne vient dans notre lit que pour y dormir. Je me sens délaissée. Heureusement, le groupe de mamans sur lequel j'évolue sur internet me permets de discuter de ces choses-là. Sans elles, avec qui le ferais-je ? Manu me manque. Depuis nos désastreuses vacances, elle n'a pas donné signe de vie, et je ne l'ai pas fait non plus. Je me suis convaincue que nos chemins devaient se séparer et que c'était le destin. Peut-être que j'ai eu tort, je ne le saurai jamais. Gontran me manque tout autant. Mais mon orgueil blessé m'empêche de retourner vers eux. Je les aimais tellement... Est-ce possible que je ne leur manque pas ? Qu'ils aient continué à vivre sans moi, et que leurs vies ne soient pas remplies des mêmes questions que les miennes ? Je leur en veux. Je m'en veux. Et au final, tout est gris.

Laurie est toujours là... mais si loin. Loin géographiquement, bien sûr, mais surtout mentalement. Elle file le parfait amour avec son mari, vient d'avoir sa deuxième fille et va reprendre le travail. J'ai l'impression de ne pas savoir quoi lui dire. Ici, le parfait amour ressemble à de l'habitude. Il n'y a plus d'attentions inopinées, ou de tendresse sans arrière-pensée. Nous vivons à deux pas de Paris, mais nous n'y mettons pratiquement plus jamais les pieds. Florent prétend qu'il est fatigué, ou que c'est trop compliqué avec le bébé. Je rêve pourtant de reprendre une vie sociale et de revoir des adultes. Mes élèves ont beau être adorables, je ne peux pas avoir avec eux de longues conversations. Je ne suis pas payée pour ça, de toute façon.

— Ouvre !

— Je suis en train de me doucher !

— Mais depuis quand tu fermes la porte à clefs ?

Depuis que j'ai douze kilos à perdre et que je n'y parviens pas. Depuis que je joue régulièrement avec le pommeau de douche pour dissiper une frustration sexuelle qui s'accumule depuis trop longtemps. Depuis que je vis avec un colocataire, en somme.

— J'en ai pour une seconde !

— Ouvre !

Il vient de crier d'une voix sourde. Malgré le bruit de l'eau, je sens que les choses se gâtent.

— Mais j'en ai seulement pour...

J'entends la petite cuillère qui frotte la poignée. Il essaie de crocheter la serrure. Et il y parvient. Il entre dans la pièce, passablement énervé.

— C'est quoi ces conneries, pourquoi tu fermes à clefs ?

Je ne sais pas quoi répondre. Je suis prise en faute, alors que quelque part au fond de moi, je sais que je n'ai pas à l'être. Je ne parviens pourtant pas à me défendre.

— J'ai bien le droit de fermer à clé pour prendre ma douche, non ?

— Pourquoi, t'as quelque chose à cacher ?

Là encore, je me sens coupable, comme une fillette que l'on prend sur le vif le nez dans un paquet de gâteaux.

— Non, mais...

— Alors, tu ne fermes plus cette porte à clefs ! je dois avoir accès à la salle de de bains quand j'en ai envie ! Et puis si tu tombes ou qu'il t'arrive un truc, on fait quoi ? C'est complètement irresponsable ! T'as peur de quoi ? Que je te vois toute nue ?

J'ouvre et je referme la bouche plusieurs fois, puis ma colère éclate, incertaine :

— Mais j'ai quand même le droit de fermer ! Tu me saoules à la fin, on dirait que je suis une gamine !

Il me regarde avec froideur, puis tourne les talons.

Dès le lendemain, il me le jure, il démontera la serrure de la salle de bains.

J'ai du mal à te croireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant