— ... et juste après m'avoir traité de connasse, il m'a envoyé valser dans le meuble de la cuisine. Depuis, j'ai mal à l'épaule.
— J'ai vraiment du mal à te croire.
La phrase se plante en moi comme un rasoir effilé et tranche mon cœur en deux morceaux. Alice est une amie depuis de nombreuses années. J'avais besoin de dire enfin ce que je vis entre ces quatre murs. J'avais envie de partager avec elle mon quotidien. Je croyais qu'elle au moins, elle comprendrait.
Je comprends tout à coup que la comédie de la famille parfaite que nous jouons depuis des années se retourne contre moi. Il est le gendre idéal. Depuis toujours. Je suis l'artiste maudite, qui ne travaille pas et se plaint. Personne ne me croira. Jamais.
Je coupe court à la discussion et laisse couler mes larmes.
J'ai un combat à mener. Et je vais être seule.
— Et si je gardais les grands ?
— Pardon ?
— Les petits, tu les prends, et moi je garde les deux ados. Ce serait plus pratique, avec mon boulot, je n'ai pas beaucoup de temps pour gérer tout le monde.
Il me propose de partager les enfants comme un sachet de bonbons. Deux à droit, deux à gauche. C'est équitable, non ? J'essaie de lui expliquer que ça ne marche pas comme ça, que je ne veux pas que nos enfants soient séparés. Il soupire. Selon lui, je ne fais aucun effort. Cela fait déjà trois mois que je frappe à toutes les portes, mais rien ne semble me sourire. Et pour arranger les choses, nous venons d'être placés en confinement. Je dois faire l'école à la maison tous les matins, gérer des activités ludiques l'après-midi, et la nuit, jusqu'à ce que je tombe de sommeil, j'essaie malgré tout d'honorer mes contrats. Je sais que pour partir je vais avoir besoin d'argent. Florent, lui, a la chance d'être fonctionnaire. Il touche son salaire complet, sans avoir à travailler. Le matin, il va jouer au tennis. Et l'après-midi, il se repose, ou il regarde la télé. Il fait comme si nous n'existions pas. La seule chose qu'il consent à faire, c'est le repas. Je me noie totalement sous les tâches de la maisonnée. Avec les enfants à gérer, tout devient plus long et plus compliqué. Je pleurniche auprès de mes éditeurs pour avoir des délais. Ils ne comprennent pas : avec le confinement, tout le monde à du temps libre. Les gens se plaignent qu'ils s'ennuient, ou se félicitent d'avoir enfin des loisirs à développer. Mes amies racontent sur les réseaux sociaux comment elles ont revu telle ou telle série, ou quelles anthologies elles ont enfin eu le temps de dévorer. Elles font du pain, des gâteaux, des activités avec leurs enfants. Moi, j'ai du mal à trouver le temps de respirer. Parfois, je me dis même que si j'arrêtais, ce serait la solution.
— Et si tu faisais quelque chose avec eux ?
— Quoi ?
— Je ne sais pas, de la peinture, du dessin, leurs devoirs !
— Je n'ai pas envie. Pour une fois que j'ai du temps pour moi !
— Mais tu te rends compte que je gère absolument tout. ?
— Et alors, tu veux divorcer, non ? Autant t'habituer !
Pendant que je lui parle, il ne lève même pas les yeux de son téléphone.
— Mais moi je veux divorcer, OK. Mais eux, qu'est-ce qu'ils t'ont fait ?
— Franchement ?
Il plante son regard dans le mien.
— Tes gosses, je les trouve pas particulièrement attachants.
Mon souffle est coupé. Je ne sais même pas quoi répondre. Florent est incapable d'amour. Je le comprends désormais.
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J'ai du mal à te croire
General Fiction« J'ai du mal à te croire ». La phrase tombe un couperet. Violente, inattaquable. La femme qui vient de la prononcer est pourtant une amie bienveillante qui ne me veut que du bien. Je mets plusieurs mois à l'encaisser. Je ne sais pas encore que cett...