« C'est une fille ! » Cette phrase tourne en boucle dans ma tête depuis que nous sommes sortis de l'échographie. Florent est aux anges . Je le suis tout autant. J'imagine déjà ses petites tenus, robes, jupes, tutus... Et je m'imagine déjà en train de faire des tresses à n'en plus finir. Pourtant, nous le savons déjà, tous ne seront pas aussi heureux que nous. C'est une sensation étrange, diffuse. Ce quatrième enfant nous rend différents. Alors que nous avons toujours attendu le troisième mois pour dévoiler mes grossesses, cette fois, nous hésitons à le faire.
C'est comme si nous le cachions à tout le monde. Je suis enceinte de cinq mois déjà, et personne n'est au courant. Je ne sais pas comment nos proches vont réagir. Ma mère a déjà eu des réflexions très dures lorsque je lui ai annoncé la naissance d Gabriel. Selon elle, avoir plus de deux enfants, c'était de la folie. Mes amies me prennent pour une douce illuminée avec ma famille déjà nombreuse : « trois petits gars , mais comment fais-tu ? » De son côté, Florent n'en a rien dit à personne non plus. Il quitte désespérément le schéma idéal de sa famille : une fille et un garçon, comme sa sœur, son père et son grand-père avant lui. Ce n'est pas ce dont il avait rêvé, j'en suis sûre.
Si nous ne disons rien, c'est aussi parce que nous avons vu la différence de traitement entre le premier enfant, choyé et enseveli sous les cadeaux de naissance, le second, attendu mais qui a un goût de déjà vu, et enfin le troisième, pour qui on n'offre plus rien, ou bien un vague doudou, pour la forme, mais en faisant comprendre que vraiment, on se sent obligé. Je redoute l'accueil qui sera réservé à ce quatrième bébé, autant dans sa famille que la mienne. Alors, sans même nous concerter, nous retardons l'échéance. Comme si nous étions coupables de vouloir ce quatrième enfant, comme si être hors norme faisait de nous des parias. Je sais déjà que certains me parleront du montant des allocs. Je le redoute autant que je m'en fous. Ce bébé grandit dans mon ventre. Et je l'aime déjà.
Comme nous nous y attendions, la nouvelle n'a reçu qu'un accueil tiède, presque désintéressé. Ma mère pense que je suis folle. Son père a laissé entendre qu'il fallait bien m'occuper. Même si je porte enfin la petite fille de ses rêves, Florent n'est pas plus présent pour cette grossesse que pour les deux dernières. Je ne m'en plains pas, j'ai l'habitude. De nombreux problèmes de santé m'obligent à me rendre régulièrement à l'hôpital, seule. J'ai de la chance, il est à deux pas. Je dois faire des prises de sang tous les quinze jours et me piquer les doigts plusieurs fois par jour pour contrôler mon taux de glycémie. En bon soldat, je ne me plains pas. Malgré la fatigue et les trois garçons à gérer, j'avance. C'est ce que je fais le mieux. Florent est toujours aussi dur avec les garçons. Au lieu de m'aider à la maison, il leur reproche de ne pas le faire. Louis, du haut de ses neuf ans, est celui qui a le droit aux pires remarques. J'essaie de pallier au mieux au manque affectif laissé par son père, mais je devine que c'est difficile pour lui. J'espère que ce nouvel enfant ne creusera pas son sentiment d'abandon. Liam est colérique. Il a commencé à voir un psychologue, lui aussi. Au fond de moi, je sais pourtant très bien que ce n'est pas lui qui devrait consulter. Notre vrai problème est ailleurs. J'en ai parlé à Florent lors de sa dernière crise de violence. Comme à chaque fois, il a rejeté la faute sur nos enfants turbulents ou sur mon inefficacité en tant que mère. Mais j'ai tenu bon. Ce bébé me donne des ailes. Pour une fois, je crois avoir été entendu. Il m'a promis de se renseigner pour commencer, lui aussi, un suivi pour ses problèmes. Je prie pour que cela ne soit pas des paroles en l'air.
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J'ai du mal à te croire
General Fiction« J'ai du mal à te croire ». La phrase tombe un couperet. Violente, inattaquable. La femme qui vient de la prononcer est pourtant une amie bienveillante qui ne me veut que du bien. Je mets plusieurs mois à l'encaisser. Je ne sais pas encore que cett...