Le jour se leva et perça les rideaux de la chambre des filles. Perrine sentit les rayons du soleil derrière ses paupières et ouvrit lentement les yeux. Tout était calme dans la pièce, aucun bruit ne venait perturber le paisible sommeil des trois amies, sauf peut-être le chant lointain, derrière les vitres, de quelques oiseaux joyeux. Si nous nous arrêtions sur cette scène, l'histoire aurait eu l'air digne d'un début de conte de fée. Malheureusement, la journée qui s'annonçait était bien plus sombre que le soleil sur l'horizon...
La douce aurore qui avait surpris notre héroïne réveilla ensuite Jia, puis Yna qui dormait au sol, sur une simple couette. Lorsque Perrine lui demanda pourquoi elle n'avait pas dormi dans son lit, alors que la terrienne ne rêvait que de s'y jeter depuis qu'elle l'avait vu, la princesse répondit qu'elle s'était habituée à coucher par terre et que le matelas lui paraissait trop mou. Perrine observa attentivement son amie : la fatigue se peignait sur ce visage si jeune et fragile, et pourtant, elle y décelait une toute nouvelle force et détermination.
Mais malgré tous les soleils qui se levaient sur ce monde, un sombre voile planait dans le ciel. Aujourd'hui, le roi et la reine commémoraient, comme chaque année, la disparition de leur fils, et pour cela, ils se rendaient sur sa tombe, certes vide mais lourde de chagrin, de doute et de silence. Le ciel étant trop bleu pour supporter de tels fardeaux, c'était aux hommes qu'il incombait cette tâche quelque pénible qu'elle fût.
Revêtant de longues toges blanches, costume traditionnel de ce type de cérémonies, les trois amies rejoignirent le reste de la foule à l'extérieur, dans un immense jardin. Des bouquets de roses blanches reposaient dans de grands vases en argent et tour à tour, chacun allait en piocher une.
– Dois-je en prendre une aussi ? demanda Perrine à Yna.
– Non, seuls les nobles y ont droit.
La princesse en prit une tandis que Jia et Perrine la suivaient comme les deux humbles jeunes femmes qu'elles étaient censées jouer. Puis Yna s'arrêta soudainement : elle venait d'apercevoir Erian. Vêtu de blanc, ses yeux et ses cheveux sombres contrastaient fortement avec sa tenue. La princesse recula d'un pas. Louis suivait de près le jeune prince et Kian, un peu plus loin, avançait tête baissée. Assister à sa propre commémoration, quelle ironie ! Dire que tous le croyaient mort mais qu'il était là, bien vivant. Il leva les yeux. Perrine le regardait, pensant sûrement tout ce qu'il se disait à lui-même. Ils n'eurent pas le temps d'échanger un long regard ; le roi et la reine venaient de sortir du palais et avaient aimanté les pupilles de la foule.
Tous deux vêtus majestueusement de blanc, ils avancèrent en direction du vase, avec une grâce mélancolique, et prirent chacun une rose blanche. Puis ils ouvrirent la marche commémorative en direction d'une immense forêt. Un cortège de tuniques blanches se forma peu à peu à la suite de ces deux parents au seul et même visage sombre. Dans la foule, Perrine aperçut une vive lumière s'approcher d'elle ; elle l'identifia immédiatement. C'était ce jeune homme à la beauté extraordinaire, le cousin d'Erian et donc celui de Kian, celui qu'elle avait fait fuir la veille au bal.
– Bonjour, chuchota-t-il près de Perrine. Nous n'avons pas été présentés.
– Je ne suis qu'une humble servante, votre altesse.
Un rictus lui échappa mais même ainsi déformé, son visage semblait toujours parfait.
– Qu'est-ce qu'ils ont tous avec les honorifiques ? marmonna-t-il. Je suis Orien, cousin du prince, continua-t-il. Ma mère est la soeur du roi mais elle s'est mariée avec un roturier et a perdu son titre de noblesse de ce fait. Alors ne vous donnez pas la peine de m'appeler "votre altesse", j'appartiens au même rang que le vôtre.
– D'accord... Orien.
– Puis-je connaître votre nom si vous usez du mien ?
– Je m'appelle Perrine.
Le jeune homme lui sourit étrangement et l'apprentie servante plissa les yeux. La lumière si vive et si pure qui émanait de cet homme était trop... vive et pure pour être innocente. Quelque chose dans ce sourire reflétait plus exactement la personne qu'il était en réalité. Perrine eut l'impression que l'âme d'Orien n'était pas vraiment la sienne... ou bien qu'elle était trop lourde à porter pour un être humain, comme s'il était appelé à devenir quelqu'un d'autre.
– Nous approchons, déclara Orien. C'est la première fois que vous assistez à ce genre de cérémonie, n'est-ce pas ?
La fin de sa phrase lui fut adressée par le regard et Perrine se sentit transpercée par ses yeux verts. "Il sait", pensa-t-elle alors et oui, il lui donnait l'impression de connaître toute la vérité, et même des vérités qu'elle-même ignorait sur sa propre existence. Les pupilles d'Orien transpiraient la clairvoyance. Elles glissaient sur le visage de Perrine ainsi que sur son âme comme la caresse d'une plume et c'était à la fois si agréable, doux et presque addictif que la jeune femme ne prit pas la peine de se défendre.
– Perrine, intervint Jia.
La sensation de caresse s'estompa puis disparut. L'aveugle, de ses yeux voilés de blanc, lui jeta un regard de mise en garde. Perrine fronça les sourcils et secoua la tête. De quoi se mêlait-elle ? "Toujours à prendre parti dans les affaires des autres", remonta une voix du plus profond du coeur de la terrienne. Elle frissonna à l'écoute de ses propres paroles qui sonnèrent bien plus gravement qu'à l'ordinaire.
Perrine se tourna vers Orien ; ses yeux avaient gagné en curiosité mais à présent, il n'osait plus franchir les barrières. Le jeune homme commençait à comprendre la place et l'importance de Jia, surtout que lorsqu'il essayait de cerner son âme, il n'apercevait qu'un immense trou noir. Pour être capable de dissimuler à ce point sa nature, il fallait posséder un pouvoir exceptionnel.
– Vous avez de puissants amis, ne les perdez pas, murmura alors Orien à l'oreille de Perrine.
Puis il s'éloigna, dissipant sa lumière parmi la foule d'inconnus qui se dirigeaient tous vers une incroyable forêt que Perrine entendait respirer.
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Hey ! Comme promis, voici le chapitre :) J'espère vous retrouver la semaine prochaine, à bientôt !!
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BLUE HEART
FantasyImaginez-vous prendre un bain et la seconde d'après vous retrouver propulsée toute nue au milieu d'un immense lac. Difficile à croire n'est-ce pas ? Et pourtant c'est exactement ce que vient de vivre Perrine, jeune fille d'à peine dix-huit ans. Sur...