Les uns comme les autres se rassemblèrent au pied de l'immense chêne qui surplombait le royaume d'Olbies. Dans une longue tunique blanche ornée de fils d'argent, un prêtre se tint devant l'autel où reposait le corps de Louis. Perrine passa son bras sur les épaules affaissées d'Ynasuana. Erian baissa les yeux. Orien lui pressa l'épaule d'une main tremblante.
Le prêtre s'éclaircit la voix et salua l'assemblée. Il commença à réciter un extrait du Cosme, le texte sacré écrit par les tous premiers messagers du ciel.
– Les dieux nous ont enseigné la vie comme ils nous ont appris la mort et nous, par nos enfants, nous transmettons ce savoir aux générations futures. Par cette disparition, chaque être sur terre trouve une raison à son existence. Car la mort, dans son sein le plus profond, recèle de vie. Là où un souffle s'éteint, un autre naît et prend sa place, qu'il soit plante, oiseau, cerf ou poisson. Ce n'est que le début d'un voyage pour un autre monde, plus vaste, plus beau et plus lointain. Dans le ciel, les âmes s'élèvent tels des oiseaux qui s'envolent. Par milliers, elles se dispersent, puis ne font plus qu'un avec le grand chêne de la vallée.
Il referma son livre et leva la tête.
– Louis a rejoint ses ancêtres, tombant pour nourrir les racines du vieil arbre et revenir sous la forme d'une nouvelle feuille verdoyante. Sa vie fut courte mais heureuse, sans doute pleine de regrets mais sûrement sans nul remords. Que la terre qui lui a donné naissance recouvre sa chair, et que le ciel qui l'a envoyé accueille son âme. Avec ces offrandes, il franchira sans crainte les portes d'un nouveau monde.
Puis, en posant ses yeux sur le corps inerte de Louis :
– Maintenant, va, nous prions pour toi.
Le vieil homme plongea sa main dans un bol de peinture bleue et en déposa sur le front pâle de Louis. D'un coup d'œil, il fit signe aux proches de venir déposer à leur tour une couche de peinture sur le visage du défunt. Perrine releva la tête pour faire face dignement à un des rares défunts dont elle n'avait pas pu accompagner l'âme jusqu'au royaume des morts.
Elle trempa le bout de ses doigts dans le mélange bleu et recouvrit la joue de Louis d'une couche de peinture. Elle laissa une larme lui échapper, pour les apparences. Celle-ci roula sur sa joue et vint former une petite auréole sur sa robe blanche. Elle se tourna vers un ciel bleu : Louis mourrait puis Kian fuyait, qui serait le prochain ? Erian s'approcha de Perrine et passa une main réconfortante sur son dos. Elle leva les yeux sur lui et un faible sourire s'empara de ses lèvres. Lui, il était peut-être ce qui s'apparentait le plus à un véritable ami parce qu'il était toujours là pour elle. Il déposa à son tour une couche de peinture, suivi de Jia, puis d'Yna, dont le visage, baigné de larmes, scintillait mélancoliquement. Ses cheveux courts flottèrent au vent tel l'étendard de sa douleur.
La princesse repensa au moment où ses longues mèches étaient tombées, les unes après les autres, toutes aussi lourdes que son chagrin, sur le marbre de sa chambre le matin même. Ils appartenaient au passé désormais.
Les doigts d'Yna se posèrent doucement sur les lèvres de Louis, et de son pouce elle les caressa pour les faire disparaître sous cette sinistre peinture. À travers ce geste, la foule entière perçut sa tendresse et son amour inconditionnel pour ce jeune homme. En se tenant face à ce sombre destin, Yna comprit enfin où résidait sa liberté et où elle s'éteignait à présent. Sans lui, où pouvait-elle aller... pourquoi le monde s'effondrait-il ainsi ? Il n'y avait plus que l'obscurité au bout du chemin.
– Il est coutume qu'un des proches fasse un éloge funèbre, l'avez-vous préparé ? glissa dans un murmure le prêtre à Perrine.
Elle hocha la tête et se dirigea vers Yna.
– C'est à toi maintenant, mais si tu ne t'en sens pas capable, je peux le faire.
Yna renifla.
– Non, je le ferai, répondit-elle d'un ton déterminé.
Le discours d'Erinna semblait avoir atteint le cœur de la princesse. Celle-ci prit donc place sur l'estrade où se tenait le prêtre quelques instants plus tôt et inspira profondément.
– Avant de m'enfuir de mon royaume, commença-t-elle d'une voix tremblante, je me demandais si on naissait princesse, si on le devenait ou... ou si on y était destinée.
Elle souffla et sa voix se fit plus claire, plus forte.
– Aujourd'hui, je me rends compte que je me posais les mauvaises questions. Je suis née princesse. Louis est né Saomien. Nous sommes tous nés Iziriens. Mais nous devenons ce que nous souhaitons.
Un sourire fantomatique passa sur ses lèvres pincées. Elle éleva la voix.
– Certains ont quitté leur famille, déclara-t-elle en posant son regard sur Erian puis Perrine. D'autres l'ont perdue...
Ses yeux se posèrent sur Jia et sur le corps de Louis.
– Et d'entre nous, beaucoup ne la reverront jamais. Mais ces choix ont fait de nous qui nous sommes aujourd'hui. Nous traçons notre propre route. Et si ce sont les hommes qui ont établi ce monde, nous avons donc le pouvoir de le changer et de choisir si nous serons prince, paysan, marchand ou pirate. C'est grâce à Louis que j'ai compris qui j'étais et qui je souhaitais devenir. C'est grâce à lui que ce jour-là, lors de ma fugue, je n'ai pas abandonné mes rêves et c'est grâce à lui que j'ai pu les réaliser. Sans aucun regret, ni aucun remords, souffla-t-elle.
Elle prit une autre inspiration pour trouver le courage de continuer.
– Alors maintenant, certes il n'est plus là, mais ce n'est pas pour autant que j'abandonnerai mon aventure. C'est ma vie, je la vivrai comme je l'entends. Faisons en sorte que Louis, qui a abandonné ses rêves pour nous, ne regrette pas de nous avoir rencontré. Je lui prouverai que son sacrifice en a valu la peine et, pour lui, mon amour, (elle essuya ses larmes d'un revers de la main et releva le menton) la vérité éclatera, je le promets.
Le silence continua de planer sur l'assemblée et un sourire empreint de fierté flotta sur les lèvres de Perrine. La mort de Louis avait fait grandir Yna beaucoup trop vite. Cette jeune femme, qui avait encore la vie devant elle il y a quelques mois, aurait pu devenir reine avec facilité. Mais un soir, elle avait tout quitté pour vivre. Vivre une vraie vie, une vie lui appartenant et où elle n'était sûre que d'une chose : la mort. Pas une vie où tout était déjà archivé, écrit à l'avance ou dicté par ses parents. Pour Yna, une vraie vie, c'était une aventure où chaque lendemain était un saut dans l'inconnu. Mais ce rêve fou avait disparu en même temps que Louis.
Finalement, la vie avait tenu ses promesses : l'inconnu qu'elle aurait dû vivre comme un cadeau, lui avait retiré le seul présent qu'il daignait offrir : l'amour. Maintenant, elle comprenait pourquoi on pleurait la perte de certaines personnes, car aujourd'hui c'étaient ses larmes à elles qui coulaient et lui brûlaient les yeux.
Dans l'esprit de la princesse, la vie se transforma ; elle n'était plus telle qu'elle l'avait imaginée quelques mois auparavant. À présent, elle était un combat, une lutte acharnée qu'il fallait mener afin de rester dans ce monde. À partir de maintenant, il lui faudrait se battre pour parvenir à faire changer les esprits. La vie de Louis n'avait pas suffit ? Alors qu'on prît la sienne, qu'on prît celle de Perrine, celle d'Erian ou celle de Jia ; Yna était sûre qu'ils la suivraient tous dans ce combat. Elle savait qu'elle pourrait compter sur eux afin de révéler cette vérité enterrée. Bientôt, leurs ennemis comprendraient leur erreur, et le monde entier découvrirait que les dirigeants des six royaumes d'Iziria avaient détruit l'île de Louis, puis qu'ils avaient tué ce dernier alors qu'il ne souhaitait que rendre justice.
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Chers lecteurs,
Merci à tous d'être arrivés jusqu'à ce dernier chapitre <3
Hâte de vous retrouver pour la suite (un tome 2 bientôt !!), j'ajouterai un petit résumé du prochain livre la semaine prochaine ! J'espère y penser sinon n'hésitez pas à réclamer dans les commentaires !!
À bientôt !
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BLUE HEART
FantasyImaginez-vous prendre un bain et la seconde d'après vous retrouver propulsée toute nue au milieu d'un immense lac. Difficile à croire n'est-ce pas ? Et pourtant c'est exactement ce que vient de vivre Perrine, jeune fille d'à peine dix-huit ans. Sur...