IX

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Perrine marchait depuis bientôt une heure quand elle croisa la route d'un majestueux loup blanc. Elle le reconnut immédiatement et s'apprêtait à se jeter à son cou quand elle se souvint de la dernière fois qu'elle avait osé s'en approcher.

– Heureuse de te revoir, préféra-t-elle le saluer.

Ce n'était évidemment pas le cas de Kian qui aurait souhaité voyager seul. Ne voulant pas que la jeune femme se doutât de sa véritable identité, il dissimula sa besace et son épée sous son épais pelage.

– Mais que fais-tu donc ici ? S'interrogea Perrine.

Elle se rappela l'incendie et sa course effrénée.

– Tu m'as abandonnée !

Une violente bourrasque fit reculer le loup d'un pas. « Elle dégage une telle puissance, s'étonna-t-il. Qui est-elle et d'où vient-elle ? »

– Je peux le comprendre puisque tu es un animal, mais je ne te le pardonnerai pas aussi facilement !

Kian ignora Perrine et poursuivit son chemin en direction de Deria.

– Tu m'écoutes quand je te parle ? S'indigna Perrine.

Étrangement le loup s'arrêta, Kian lui-même ne comprit pas ce qui lui arrivait. « Se pourrait-il qu'elle sache déjà s'en servir ? »

La jeune femme se plaça en face de lui, les sourcils froncés et le doigt pointé vers son museau.

– Ne me refais plus jamais ça.

Le loup hocha la tête afin de la faire taire. Satisfaite, Perrine sourit et fouilla sa besace à la recherche de la carte.

– Si je ne me trompe pas, c'est par là, affirma l'audacieuse en se tournant vers ce qui lui semblait être le Nord.

Kian rit intérieurement en se demandant comment elle avait fait pour parcourir toute cette route avec un sens de l'orientation aussi mauvais. Il partit à l'opposé des indications de Perrine ce qui l'énerva terriblement. Après vérification, elle admit qu'elle s'était trompée ; le prince apprécia cette qualité. Il s'avouait obstiné et tenace et c'était déjà un bon début pour lui de le reconnaître quand on savait que ce défaut lui avait coûté son âme.

Ils marchaient depuis quelques minutes côte à côte lorsque la jeune fille pensa à sa vie, à la réalité qui attendait son réveil. « Je ne veux pas ouvrir les yeux, non jamais. »

– Ce monde me rend folle mais au moins je me sens libre, déclara Perrine à voix haute.

Les deux vagabonds arrivèrent devant un champ de fleur. Le soleil brillait haut dans le ciel et le vent soufflait doucement. Toutes ces couleurs firent étinceler les yeux de Perrine.

– Juste avant de me retrouver dans ce rêve étrange, je me suis disputée avec mes parents... je leur ai dit des choses tellement horribles et pourtant si vraies. Je ne pense pas qu'ils aient réellement compris le sens de mes paroles.

Elle s'adressait au loup, se disant qu'il était le seul à qui elle pouvait se confier sans craindre d'être jugée. Mais ce n'était pas l'animal qui l'entendait, c'était Kian, l'homme qui vivait sous cette forme. Il était gêné qu'elle se méprît ainsi sur sa véritable nature, mais il ne put s'en prendre qu'à lui-même.

– Tu as de la chance d'être un loup, continua Perrine. Tous les animaux libres sur Terre ont une chance inouïe. Parfois, j'aimerais être l'un d'entre vous, j'aimerais pouvoir vivre librement dans la nature et oublier que les hommes ont peu à peu construit cette société dont nous faisons tous partie une fois nés. Je suis venue au monde avec des droits et des devoirs, je ne dis pas que c'est une mauvaise chose puisque jadis c'était pire, je dis seulement que j'aurais voulu naître libre, sans droits et sans devoirs. J'aurais préféré ne jamais connaître l'école et apprendre en parcourant le monde à la recherche d'anciens qui m'auraient enseigné les mystères de notre Terre. J'aurais voulu vivre en tant qu'aventurière, en cherchant des trésors qui ne sont ni de l'or ni de l'argent. L'idéal en réalité, ce serait de naître dans un monde où les hommes vivraient avec les papillons au lieu de les épingler dans des boîtes en carton. Ce serait de se lever le matin en se demandant ce qu'on fera durant ce nouveau jour et non ce qu'on fera durant la pause déjeuner d'un jour déjà planifié depuis des semaines.

Kian était perdu, la moitié des mots qu'employait Perrine lui était inconnue, pourtant, sans savoir pourquoi, il comprenait le sens et l'importance de ses paroles.

– Avons-nous le temps de profiter pleinement de notre jeunesse, de découvrir le monde immensément merveilleux qui nous entoure ? Ne passons-nous pas notre vie trop près de la civilisation en oubliant qu'un jour nous sommes nés dans l'herbe fraîche d'un pré qui maintenant n'est plus qu'un vulgaire supermarché ? S'interrogea-t-elle en inspirant le parfum des fleurs. Si un jour j'ai des enfants, j'aimerais qu'ils naissent dans un pays qui n'oblige pas ses habitants à travailler pour qu'ils survivent. J'aimerais qu'ils connaissent le bonheur de courir pieds nus sans se soucier de porter des chaussures d'une telle marque ou d'un tel magasin. J'aimerais qu'ils grandissent en respectant leur planète et leurs ancêtres. J'aimerais qu'ils se sentent égaux et non divisés par une classe sociale, un métier ou même par le savoir. Je voudrais qu'ils habitent auprès de leurs deux parents et qu'ils les quittent seulement le jour où ils se sentiront prêts à chercher des réponses à leurs questions, qu'ils ne se sentent jamais de trop ou inutiles, qu'ils soient aimés pour qui ils sont et non ce qu'ils font.

Elle souffla lassement tandis que Kian sombrait petit à petit dans une profonde réflexion.

– J'aimerais vraiment connaître une liberté des plus totales, quitte à vivre pour toujours dans ce rêve...

Tout ce que Perrine venait d'avouer rappela à Kian le royaume sans loi dans lequel il avait vécu quelques mois. En réalité, son nom n'était pas le plus adapté puisqu'il y avait tout de même quelques règles dont une principale : être pacifique ou être banni. C'est ainsi que des milliers de personnes avaient choisi de vivre : librement, sans contrainte. Ils ne travaillaient pas, ne gagnaient pas d'argent, il n'y avait ni société ni centre d'éducation : tous se débrouillaient par leurs propres moyens. Ils se nourrissaient en chassant ou en pêchant, ils cueillaient les fruits et les légumes qu'ils trouvaient dans la forêt ou faisaient pousser dans leur jardin et évidemment ils éduquaient leurs enfants, leur apprenaient à lire... ils faisaient chaque tâche normalement déléguée et répartie dans la société eux-mêmes. Parfois, il arrivait qu'entre voisins ils fissent du troc ou que selon leur talent ils formassent des alliances : certains éduquaient les enfants tandis que d'autres s'occupaient de la nourriture ou confectionnaient des vêtements. Quoi qu'il en fut, tous vivaient selon leurs choix en toute liberté. Le roi ne s'occupait pas de leur façon de vivre sauf s'ils enfreignaient la loi, il ne jugeait pas leurs différents modes de vie et n'intervenait qu'en cas de conflits sérieux ou dangereux.

De ce fait, on aurait pu croire que ce royaume eût subi de nombreuses guerres puisque son territoire était grand et qu'il n'était défendu que par des soldats volontaires, cependant, à ce jour, il restait le pays le plus neutre d'Iziria. Et cela, c'était grâce au roi Temo. Célèbre à travers chaque royaume pour sa loyauté et sa justice, il entretenait volontairement le mystère et les rumeurs circulant à son sujet. Une seule personne osa un jour défier cet homme et il suffit d'un mot de ce dernier pour qu'une guerre éclatât. Ce jour était connu de tous, gravé sur la tombe de l'inconscient et dans les mémoires de chaque royaume.

Les autres rois d'Iziria conclurent alors un accord, renouvelé chaque siècle depuis des centaines d'années, parce qu'ils craignaient le pouvoir extraordinaire de cet homme. Si quiconque osait commettre un crime qui eût pu nuire à l'homme, le roi Temo le bannissait instantanément et vous pouviez être sûr de ne plus jamais entendre parler de cette personne. Finalement, la puissance de ce roi était telle qu'il valait mieux être son ami que son ennemi.

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Bonjour bonsoir !!

Bientôt la rentrée... 😢

Bon ce chapitre n'est pas mon préféré mais je pense qu'il est nécessaire afin de mieux cerner Perrine. Et il est aussi utile parce qu'on y découvre un autre royaume d'Iziria ainsi que le roi Temo qu'on retrouvera plus tard et qui sera l'objet d'un hors série normalement. Allez je n'en dis pas plus 😉

À bientôt !

BLUE HEARTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant