VIII

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Kian avait repris son apparence animale mais n'avait pu se résoudre à quitter définitivement le village. Il se reposait donc à la lisière du bois quand celle qu'il attendait fit enfin son apparition. Le loup avança de quelques pas afin de se rendre visible aux yeux de son amie mais il se rappela très vite qu'elle était aveugle. Alertée par le bruit presque inaudible des feuilles écrasées, elle se tourna vers la forêt puis perçut l'aura de l'animal.

– Kian, alors comme ça tu es toujours en vie...

Après un rapide coup d'œil aux alentours, le loup se transforma en humain puis commença à s'habiller.

– Jia, ça faisait longtemps, la salua-t-il.

Le sourire de la coiffeuse s'agrandit.

– En effet, acquiesça-t-elle. La dernière fois j'habitais encore au Cœur du royaume d'Olbies mais toi, tu n'étais déjà plus tout à fait humain si je me souviens bien.

– Tu ne l'as jamais complètement été non plus, répliqua Kian.

Le rire mélodieux de Jia dépassa son ami et se perdit dans la forêt sombre et lugubre d'Aliazba.

– Assez parlé de moi, que fais-tu ici ? Demanda-t-elle plus sérieusement.

Jia avait beau être aveugle, ce n'était pas difficile pour elle de remarquer la présence d'étrangers dans sa ville.

– Je me balade.

– Arrête ton numéro, tu sais très bien que rien ne m'échappe. Tout à l'heure, j'ai rencontré une jeune fille du nom de Perrine, elle disait te chercher.

Le prince tressaillit et crut que Jia ne le remarquerait pas ; il avait tort, le pouvoir de son amie dépassait de loin le sien.

– C'est toi qui lui a dit où me trouver ?

– Tu sais bien que je suis aussi aveugle que muette en ce qui te concerne. Cependant, je ne suis pas dupe. Pourquoi est-elle au courant de ton existence ? Mais surtout qui est-elle vraiment ? Quand elle m'est apparue, j'ai directement senti qu'elle n'était pas comme les autres, c'est sûrement ce que tu t'es dit en la voyant, supposa Jia.

« Si Jia l'a senti, je ne peux plus le nier, » pensa Kian.

– Je n'ai aucune idée de qui elle est ni de ce qu'elle fait ici. Quant à savoir pourquoi elle me connaît, je ne te le dirai pas, ce sont mes affaires et non les tiennes.

Sur ces mots, Kian tourna les talons en direction des montagnes.

– Attends ! S'écria Jia.

Il s'arrêta et tourna la tête. Du coin de l'oeil, il observa de par-dessus son épaule la belle coiffeuse qui avait autrefois été bien plus qu'une simple amie.

– N'oublie pas notre accord, je garde ton secret et en échange...

– Je n'oublierai pas, l'interrompit-il. Je te l'ai promis et je tiens toujours mes promesses.

Soulagée, Jia laissa partir le jeune vagabond, sachant pertinemment qu'elle n'en aurait rien tiré de plus. Grâce à son pouvoir, elle perçut son aura sur plusieurs kilomètres encore avant qu'il ne se fondît avec l'horizon, disparaissant complètement des capteurs de Jia. Elle savait que Kian tiendrait sa promesse mais elle ne pouvait s'empêcher d'être inquiète. Si cette Perrine continuait à fouiner, Jia ne donnait pas cher de sa peau, ni de celle de Kian en y réfléchissant. À Iziria mieux valait ne pas être trop curieux : question de survie.

« Chaque royaume cache de terribles secrets que les dieux eux-mêmes préfèrent ignorer. Ce n'est pas par hasard si ces malédictions nous ont touchés. Cependant, l'arrivée de cette jeune Perrine n'est certainement pas une coïncidence non plus... Je dois rester vigilante et la garder à l'œil, façon de parler, » songea Jia.

Déterminée à en apprendre plus sur les origines de la mystérieuse Perrine, la coiffeuse retourna au village avec la ferme intention d'obtenir des réponses à ses questions. Elle alla chez Sarah qui avait proposé d'héberger la jeune fille, mais une fois sur place elle fut étonnée de trouver la maison vide. Il n'y avait plus aucune trace de l'aura de Perrine, elle avait totalement disparu.

« Se pourrait-il... » pensa un instant Jia. Le plus souvent, quand une aura disparaissait aussi subitement, cela signifiait que la personne était soit morte, soit trop éloignée de Jia pour qu'elle ne la repérât. La coiffeuse préféra s'assurer de sa mort plutôt que de laisser filer sa seule chance d'obtenir de précieuses informations. En sortant, elle tomba nez à nez avec Sarah.

– Où est Perrine ?

– Partie, envolée comme un jeune papillon retrouvant sa liberté !

Sarah semblait joyeuse et mélancolique à la fois. La petite Perrine lui manquait déjà, elle avait l'impression de revivre le départ de chacun de ses enfants en un seul.

– Dans quelle direction ? S'enquérit Jia.

– Oh, je lui ai indiqué le chemin du village le plus proche afin qu'elle puisse trouver une auberge pour se reposer cette nuit.

– Tu l'as dirigée vers Deria ? S'étrangla Jia.

Sarah hocha la tête tandis que Jia commençait à paniquer ; c'était exactement la voie qu'avait empruntée Kian.

– Oui, mais pourquoi toutes ces questions ?

– Pour rien, ne t'inquiète pas, j'étais simplement curieuse.

Elle s'apprêtait à rejoindre son salon quand au dernier moment elle se retourna.

– Je vais m'absenter quelques semaines, j'aimerais aller faire les boutiques et marchés pour améliorer l'équipement du salon de coiffure. Ça ne te dérange pas de garder un œil dessus durant mon absence ?

– Aucun problème, fais bon voyage et ne passe pas par la forêt surtout.

– Merci et ne t'inquiète pas, je serai prudente.

C'est ainsi que Jia partit en direction de Deria après avoir préparé quelques affaires dans un sac. Elle s'aventura à la suite de Kian et Perrine, à cheval, confiant son souhait à l'animal de parvenir au village avant eux, même si pour cela il leur faudrait passer par la forêt. L'équidé peu rassuré s'y engagea malgré tout ; Jia lui faisait entièrement confiance, il était ses yeux, elle était celle qui le protégerait en cas de danger.

Plus loin, vers les plaines qui séparaient Aliazba de Deria, se trouvait Perrine qui marchait décidément vers une auberge indiquée sur la carte que lui avait remise Sarah. Elle était faite à la main, dessinée à l'encre sur du papier jauni par le temps et les années. La plupart des mots inscrits ne rappelaient rien à Perrine qui n'avait retenu que le nom du village qu'elle venait de quitter et celui vers lequel elle se dirigeait. Elle remarqua aussi la présence d'une rose des vents en bas à gauche de la carte. Actuellement, elle allait vers le Nord, poursuivant ainsi sa route vers les montagnes que Kian désirait atteindre.

Elle était au courant du danger que représentait la forêt sombre et lugubre à quelques kilomètres d'elle, Sarah l'avait avertie. Perrine refoula son désir de s'y engager : « Sois prudente et responsable » s'ordonna-t-elle. Elle continua son chemin, « il vaut mieux faire une plus longue route que de risquer de se perdre. »

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Salut ! J'espère que vous passez tous de très bonnes fêtes de fin d'année 😉

Dans ce chapitre on en apprend un peu plus sur Kian et Jia : quelle est donc la promesse qui les lie ?

Et Perrine toujours sur le même chemin que Kian, étonnant n'est-ce pas ? 😂

À la semaine prochaine !

BLUE HEARTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant