XVIII

124 17 14
                                    

Kian et Jia étaient allongés dans l'herbe, haletants et soulagés d'être sortis vivants de cette course poursuite.

– Le processus de guérison va rapidement s'enclencher pour moi mais tu devrais voir un guérisseur ou un pharmacien. T'es salement amochée.

Jia se redressa dans un gémissement qui tordit ses lèvres en une horrible grimace. Son dos la faisait souffrir, son bras droit aussi et ses jambes ne la supportaient plus.

– Je connais un bon guérisseur à Deria, si tu es capable de me porter je t'y conduirais.

– Je vais devoir me retransformer en loup et aussi dormir pour accélérer la cicatrisation. Tu risques de ne plus m'entendre pendant deux ou trois heures. Ça ira ?

– Je suis plus vieille et plus solide que j'en ai l'air, assura-t-elle sarcastiquement. Ne me sous-estime pas Kian, c'est insultant.

Le rire enfantin de Kian retentit jusqu'à ce qu'il eût totalement muté. Quelques secondes plus tard il s'était assoupi tandis que Jia se positionnait sur le côté afin de surveiller la respiration de la bête. Il aurait été inexact de prétendre que Jia n'était pas inquiète : elle était l'une des plus proches et anciennes amies du prince et peut-être même la seule ; ils se connaissaient depuis près de vingt ans et avaient vécu des aventures qui ne pouvaient être résumées dans un unique livre. Leur histoire avait commencé à Olbies, par une nuit sombre, sans étoiles, où le cœur obscur et anéanti de Kian percuta l'âme centenaire de Jia. À première vue, ils n'avaient rien en commun, et ils se détestèrent même car le jeune homme était bien différent d'à présent, mais le destin les força à s'unir pour se sortir d'une situation bien pire que celle qu'ils venaient tout juste de surmonter. Ce fut un véritable défi mais par la suite, ils surent que quoi qu'il se passerait, ils pourraient compter l'un sur l'autre. Ils se séparèrent et se perdirent de vue sans jamais oublier la promesse qui les liait : briser leurs malédictions respectives.

– Je suis désolée Kian, murmura Jia.

En réalité, cela faisait bientôt dix-huit ans que la maudite ne pouvait plus tenir sa promesse... Jia ne remplirait jamais sa part du contrat. Égoïstement, elle avait préféré taire ce qu'elle savait car elle espérait encore que Kian réussît. Il le devait à tout prix, c'était même pour elle le seul moyen de voir à nouveau...

Elle toussa, ce qui lui fit l'effet d'un million d'aiguilles enfoncées un peu partout dans son corps, puis elle succomba à la douleur et s'évanouit aux côtés du loup qui dormait paisiblement, ignorant tout des pensées qui tourmentaient son amie.

*

Lorsqu'elle s'éveilla, Jia entendit d'abord des bruits de pas ainsi que des battements de cœur réguliers, puis elle capta l'agitation de la ville. Elle en déduisit qu'ils étaient arrivés à Deria et que Kian semblait la porter sur son dos. Ses mains soutenaient les cuisses de l'aveugle qui devina un chapeau sur le crâne du jeune homme. « Encore à cacher ses cheveux, » pensa-t-elle.

– Je te ferai une teinture comme ça tu ne porteras plus ces horribles chapeaux, se moqua-t-elle faiblement.

Elle sourit tout comme Kian dont l'inquiétude ne cessait de s'accroître depuis qu'il avait découvert son amie inconsciente et couverte de sang.

– On dirait que ce monstre t'a puisé bien plus d'énergie que tu ne veux l'admettre, remarqua-t-il dans un murmure.

Autant ne pas attirer un peu plus l'attention des villageois déjà suspicieux.

– Le guérisseur se nomme Lobi Han, son mana est puissant, tu le trouveras facilement, éluda Jia.

Kian se concentra afin de trier les différentes auras qui l'entouraient. Il sentit celle de Jia, très faible par rapport à d'habitude, et celles des habitants, insignifiantes comparées au pouvoir de son amie. Puis un peu plus loin sur sa droite, une aura surpassait presque toutes celles qu'il avait pu voir depuis sa malédiction : elle était calme, mais profonde et mystérieuse, un peu comme une mer avant le tumulte ravageur d'une tempête. Il s'y dirigea malgré une certaine méfiance, ne provenant pas d'un manque de confiance en Jia mais en la nature humaine. Kian ne connaissait pas Lobi Han et ne savait pas à quoi s'attendre en tant que maudit. Avec un tel pouvoir, il était aisé de deviner les grandes lignes de la vie d'une personne nous étant inconnue.

BLUE HEARTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant