XL

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La nuit portait dans son sein une fraîcheur que Perrine connaissait bien. Frissonnant au bord de la rivière, elle décida de se lever pour s'asseoir près du feu. Mais en se retournant, elle tomba nez à nez avec Kian. Était-il ici depuis longtemps ? Elle jeta un œil par-dessus son épaule, se demandant si Erian était lui aussi revenu, mais il n'y avait aucune trace de lui. Elle ne cacha pas sa déception et se promit de lui poser dès que possible la question qui la tourmentait.

Perrine se concentra sur Kian, qui se tenait toujours face à elle, silencieux, mais qui semblait avoir quelque chose à lui dire.

- Jia sait tellement de choses sur ce pays, dit Perrine pour entamer la conversation.

Il y eut une seconde de flottement inconfortable puis Kian reprit ses esprits.

- Elle est plus vieille qu'on ne le croit.

Personne ne savait exactement le nombre d'années qu'avait vécues Jia ; Kian lui donnait plus d'une centaine voire même deux cents ans. Voilà pourquoi son fluide était si puissant et voilà surtout pourquoi elle ne paraissait pas ou peu aveugle.

Par contre, sa jeunesse éternelle était le même effet secondaire qui touchait chaque maudit. Kian en était victime : comme Jia, il conservait l'âge du jour où il avait été transformé en créature mystique. Être beau et jeune depuis vingt ans avait des avantages, notamment auprès des femmes, mais il vieillissait malgré tout, emprisonnée dans une cage de jouvence éternelle.

Pourtant, l'immortalité n'effrayait pas Kian, c'était son côté humain et sensible qu'il redoutait. Il avait peur de retrouver l'éphémère de la vie et de se rappeler qu'un jour tout être doit mourir. Il voulait continuer son périple : le monde était si vaste et si grand, pourquoi s'arrêter là ? De plus, il était un loup, sans compter ses transmutations quotidiennes, il était libre et sauvage comme le vent. Il était une bête indomptable et dénuée de toute humanité. Sa vie se résumait à chasser, boire et dormir, il n'avait besoin de rien de plus pour être heureux.

Redevenir humain l'empêchait de se considérer comme un animal. Il était obligé de reconnaître qu'au fond de lui persistaient une raison et des sentiments. Jamais il ne serait libre de vivre dans une enveloppe définitive sauf s'il parvenait à briser la malédiction qui pouvait faire de lui, au choix, un loup pour l'éternité ou un homme pour le restant de ses jours. En ce moment même, il essayait de réunir toutes les pierres bleues qui selon lui étaient sept, afin de lever le mauvais sort. Il en avait une sur lui et quatre l'attendaient déjà en lieu sûr. S'il ne se trompait pas, il pouvait trouver la dernière dans les montagnes, mais il n'avait aucune idée d'où elle se trouvait. Jusqu'à ce que sa malédiction fût brisée, personne ne devait savoir qui était Kian et pourquoi ou comment il avait été maudit. Seule Jia dérogeait à cette règle.

Cependant, depuis qu'il avait croisé la route de Perrine son plan laissait de plus en plus place à une énorme dose d'improvisation. Son instinct, son cœur et son corps entier étaient attirés par cette jeune fille mystérieuse. Depuis la veille, il pensait à cet instant où, dans les bois, elle lui avait ôté son chapeau et avait contemplé ses cheveux blancs. Perrine était différente. Certes, elle venait d'un autre monde et ne connaissait donc pas les traditions d'Iziria, mais il aimait le fait qu'elle n'avait aucun préjugé sur sa chevelure. Il devait avouer que ce geste l'avait particulièrement touché et que, même si une part de lui regrettait d'avoir laissé cette étrangère atteindre et fouiller son âme, il était heureux de s'être dévoilé à quelqu'un d'autre que Jia.

– Je t'avais promis que tu reverrais un vieil ami, rappela-t-il soudainement.

Perrine leva un regard plein d'espoir sur le visage de Kian.

– Va attendre là-bas, lui dit-il en désignant les saules pleureur. Il t'y rejoindra.

– Vraiment !?

Il hocha la tête et la regarda partir tel un papillon attiré par du nectar. Puis il soupira. Que venait-il de faire ? Était-il fou ? Et que ferait-il une fois là-bas, seule avec elle, sous une identité qu'elle ne connaissait pas ? Devait-il lui révéler son secret ? Non, il ne pouvait pas. Pourtant... il souhaitait véritablement la rejoindre sous ce saule et profiter d'un instant avec elle. Lorsqu'il était loup, il se sentait plus proche de Perrine, et il appréciait cette idée.

*

 Perrine se précipita vers le saule pleureur et inspira profondément. Elle tendit la main vers les feuilles qui luisaient sous les rayons de la lune. Un doux bruissement se dégagea des branches lorsque la terrienne les écarta. Elle avança lentement, l'endroit était désert. Elle fit le tour du tronc, une main sur l'écorce, admirant la lumière argentée qui filtrait à travers les lianes de l'arbre.

Lorsqu'elle retournerait dans son monde, ce loup serait certainement l'être qui lui manquerait le plus. Elle se rappela le début de son aventure, sa rencontre avec cette créature fascinante, et la fourrure soyeuse sous ses doigts curieux. L'incendie les avait séparés puis elle l'avait retrouvé, suivant le même chemin que lui. Se pouvait-il que... ? Non, il ne l'avait pas suivie jusqu'ici. Mais alors comment... ?

Elle s'arrêta, toujours une main sur le tronc : il était là. Il paraissait plus grand que la dernière fois, peut-être parce qu'elle se sentait plus petite que n'importe qui dans ce monde. Elle éprouvait un sentiment d'étrangeté et d'inconfort qu'elle compara à celui qu'elle avait lorsqu'elle mettait les pieds dans un pays dont la culture différait largement de la sienne. Mais cette impression se dissipa au fur et à mesure que le loup s'approchait d'elle. À ses côtés, elle trouvait sa place, une place que l'animal semblait avoir gardée pour elle.

– Salut, souffla-t-elle.

L'énergie que dégageait le loup était fascinante. Les yeux de Perrine étincelaient sous cette lumière qu'elle percevait. Elle était si éblouissante qu'elle s'était ancrée sur sa rétine. Elle ferma les yeux : oui, elle le voyait encore, différemment, mais elle le voyait. Et elle sentait aussi l'arbre près d'elle ainsi que tout ce qui vivait. Elle ne fit plus qu'un avec les différentes formes de vie qui l'entouraient.

Elle ouvrit les yeux ; le monde ne lui paraissait plus aussi sombre maintenant. Elle pouvait distinguer chaque vie, chaque être, chaque âme... Sa vision était certes plus abstraite mais tellement plus authentique. Comment avait-elle pu se laisser aveugler toutes ces années ? Comment n'avait-elle pu voir qu'avec ses propres yeux et ne jamais ouvrir son coeur ? Cela ne lui paraissait même pas insensé... car désormais, il était difficile de ne plus croire en l'impossible.

Elle observa le loup et les rayons colorés le composant. Il était comme une boîte dont l'extérieur reflétait une vive lumière tandis que l'intérieur, coupé du monde, était d'une noirceur sans fond.

L'animal fit demi-tour et disparut derrière les branches du saule pleureur.

– Attends !

Perrine se précipita sur ses traces, le suivant alors qu'il s'éloignait de la rivière. Partait-il déjà ? Elle l'avait à peine vu, même pas touché, pourquoi s'enfuyait-il ?

Elle le talonna jusqu'au bord d'une prairie parsemée de coquelicots et d'autres fleurs des champs. Perrine avança sous le clair de lune, émerveillée, quand soudain, une multitude de petits points lumineux s'élevèrent dans les airs. Des centaines de lucioles flottèrent autour de la jeune fille, telles des étincelles emportées par le vent. Son sourire s'élargit et elle écarta les bras pour tournoyer sous le ciel tacheté d'étoiles.

– C'est magnifique, murmura-t-elle en direction du loup.

Ce qu'elle vit ensuite la pétrifia.

– Kian ? s'interrogea-t-elle.

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Hello !

Voici le retour du loup tant attendu ! Désolée encore pour le retard, ce ne sera sans doute pas la dernière fois car mes vacances sont très mouvementées. Les publications vont donc continuer à être assez irrégulières. J'espère que ce chapitre vous a plu et je vous dis à bientôt pour la suite des aventures de Kian et Perrine !

BLUE HEARTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant