XXXV

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 Perrine se réveilla peu après s'être endormie, un frisson lui parcourant le dos. Il faisait froid, trop froid et après quelques secondes à cligner excessivement des yeux pour chasser le sommeil, elle s'acclimata à la faible luminosité des flammes, et se rendit compte que Yan était bien emmitouflée dans la couverture que les deux jeunes filles étaient censées partager. Frigorifiée, la pauvre Perrine ne dormait plus qu'avec sa fine robe sur le dos. Un énième frisson lui mordit la peau.

– Yan, chuchota-t-elle. Yan, répéta-t-elle un peu plus fort.

Perrine lui secoua doucement l'épaule mais Ynasuana dormait à tel point qu'il était impossible de la réveiller ainsi. Se sentant coupable de vouloir interrompre un sommeil si profond, Perrine se leva et s'approcha du feu pour glaner un peu de chaleur. Cependant, les minces flammes ne suffirent pas à élever sa température corporelle. Elle jeta un coup d'œil à leur cercle de couchettes. Louis ronflait doucement, Jia avait l'air de s'être endormie sur le dos pour conserver sa grâce et sa beauté naturelle, telle une Belle au bois dormant, et d'Erian on ne percevait que le soulèvement paisible de sa respiration. Mais où était Kian ? Sa couchette semblait complètement vide. Perrine s'en approcha et observa les alentours. Il n'y avait aucune trace de lui, avait-il disparu ou... était-il parti pour une promenade nocturne ? Tout le monde semblait dormir et il n'y avait aucune trace d'intrusion extérieure, Perrine pencha donc pour la balade au clair de lune. « Il n'en a sûrement plus pour longtemps », pensa-t-elle.

Le vent souffla doucement et répandit son haleine glacée sur le corps tremblotant de Perrine. Elle n'avait qu'à se glisser sous cette couverture quelques minutes, juste le temps de se réchauffer, et elle partirait avant le retour de Kian. « Je serais partie avant qu'il ne revienne », se promit-elle. Elle posa la couverture sur son dos et se recroquevilla. Ses pieds bien au chaud et ses bras enroulés autour de ses genoux, elle leva la tête vers le ciel. Elle ne reconnut aucune constellation mais s'émerveilla de voir tant d'étoiles briller et illuminer la voûte céleste. Elle se sentit si petite, si insignifiante, si seule. Ses amies, ses parents, jusqu'ici, elle n'y avait pas pensé. Elle avait été embarquée dans cette folle aventure et avait cru que, du jour ou lendemain, elle se réveillerait dans sa baignoire, dans une eau froide peut-être, mais dans l'eau de chez elle. Ce qu'elle vivait la dépassait et l'effrayait. Ces étoiles si lointaines lui rappelaient la Terre, son monde, son portable, les réseaux sociaux, son lycée, les délires qu'elle pouvait avoir avec certains amis, sa tante Pattie, ses parents, la nourriture, sa brosse à dents... Ah sa brosse à dents... Elle soupira. Le dentifrice aussi lui manquait. Heureusement, Jia semblait avoir un plan pour la sortir d'ici. Elle avait hâte de rentrer chez elle. Mais d'un autre côté, cette aventure représentait aussi la chance de sa vie. C'était cette idée inespérée de vivre quelque chose de complètement fou et d'épique, quelque chose qu'elle pensait impossible il y a une semaine encore. Elle pouvait être n'importe qui, courir dans les champs, se baigner dans des ruisseaux, voyager sans paperasse, voler des chevaux ! Ce n'était pas une vie idéale mais c'était la liberté ! Hier, elle pensait même embarquer pour un périple en mer en compagnie de pirates ! Jamais elle n'avait rêvé vie plus périlleuse et excitante. Le temps passait si vite ici, pas une seule seconde elle ne s'ennuyait, et elle avait complètement oublié à quand remontait la dernière fois qu'elle s'était lavée. C'était complètement dégoûtant en fait. Demain, elle se lèverait plus tôt et irait prendre un bain dans ce ruisseau.

Elle bailla. Demain, elle se lèverait plus tôt, oui plus tôt...

Perrine se réveilla en sursaut.

– Je ne reste pas longtemps, promis ! s'exclama-t-elle soudainement en se redressant.

– Pas longtemps ? se moqua Kian qui la surplombait, faisant de l'ombre au soleil.

Embrumée par le sommeil, elle se frotta les yeux et subitement, se souvint des événements de la veille. Elle se leva précipitamment et se confondit en excuses, tandis que Kian se riait encore d'elle.

– Yan avait pris toute la couette et tu n'étais pas là, se justifia-t-elle.

– Bien sûr, je comprends tout à fait.

Mais une étincelle dans son regard et son sourire persistait et Perrine perçut alors toute l'ironie de ses paroles mêlée à sa voix ensorcelante. Elle rougit et chercha que faire de ses mains.

– Je vais prendre un bain.

Elle s'éclipsa en vitesse, gênée. Quelle idiote ! Elle s'était endormie alors qu'elle s'était promis de ne rester que quelques minutes ! La situation pouvait-elle être pire ?... Elle pinça ses lèvres pour retenir les insultes qu'elle voulait s'adresser. La terre pouvait-elle s'ouvrir sous ses pieds et l'engloutir pour la faire disparaître de ce monde ? Perrine secoua la tête et essaya de penser à autre chose. Elle se concentra alors sur la nature qui l'entourait, sur ce petit coin de paradis sauvage, florissant, merveilleux et enchanteur. Elle tendit les bras pour caresser les troncs des arbres sur son passage. Leur écorce sembla vibrer sous ses doigts, comme s'ils étaient pourvus d'une âme, les fleurs ainsi que l'herbe ployèrent sous son regard, tels des courtisans effectuant une révérence. Hier, cette nature sommeillait dans la pénombre, mais aujourd'hui, elle s'animait sous les yeux admiratifs de Perrine. La jeune fille s'approcha du ruisseau, s'agenouilla à son bord et y trempa ses mains. L'eau fraîche s'écoula, translucide, entre ses doigts fins et elle frissonna. Adieu le bain. Perrine se pencha et fit de sa main une coupe dans laquelle elle but quelques gorgées de cette eau si pure. Ensuite, elle se frotta le visage et se sentit immédiatement mieux. C'était agréable d'effacer les traces d'un sommeil agité.

Soudain, l'eau ruissela plus vite et s'éleva dans les airs, formant une silhouette féminine. Perrine recula, surprise, et poussa un petit cri, effrayée par cette subite apparition.

– Qu'est-ce que...

Les traits de la silhouette se firent plus nets et Perrine y distingua un léger sourire, des yeux, ainsi qu'une étonnante chevelure qui ondoyait délicatement. Ce corps avait la couleur ainsi que la forme de l'eau et ce fut avec une étrange fascination que Perrine tendit la main vers elle.

– Perrine ?! Tu es là ? cria-t-on dans son dos.

Au son de la voix qui approchait, la silhouette s'effondra tout à coup et se fondit dans l'eau du ruisseau, disparaissant plus vite qu'un éclair. Erian apparut alors et fronça les sourcils en découvrant son amie abasourdie.

– Tout va bien ?

– Tu... tu as vu ça ?

– Vu quoi ?

– Il y avait une femme, translucide, et faite de l'eau du ruisseau.

Erian écarquilla les yeux puis se tourna vers le ruisseau.

– Tu as vu une naïade ?!

– Je... je pense, supposa Perrine qui ignorait la signification de ce mot.

– Mais seuls les...

Il fronça les sourcils, saisissant quelque chose qui le dépassait.

– Ne dis à personne ce que tu viens de voir, compris ?

– Euh d'accord mais pourquoi ?

– Parce que tu n'es sûrement pas humaine, déclara-t-il gravement.

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Surprise !!!

Salut, comment vous allez ?

Que pensez-vous de la dernière phrase ? Vous pensez qu'Erian a raison ? Et pourquoi Perrine ne devrait dire à personne ce qu'elle vient de voir ?

On se retrouve la semaine prochaine pour les explications !

BLUE HEARTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant