LIV

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Lorsque la dernière fleur fut posée au pied de l'arbre, les invités se retirèrent un à un pour laisser la famille se recueillir plus intimement. Le ciel bleu s'était empli de nuages sombres tandis que les visages graves avaient repris quelques couleurs. Perrine se souvint alors d'une phrase d'un livre... Nos étoiles contraires si elle se rappelait bien : « je suis convaincue que les enterrements ne sont pas faits pour les morts mais pour ceux qui restent. » Ça n'avait jamais été aussi vrai que maintenant. Certes, il n'y avait pas eu d'enterrement, mais on sentait que cette commémoration avait allégé le chagrin des vivants. Au-delà des vieilles superstitions, Perrine pensa que les arbres étaient plantés afin de contribuer au souvenir. Au final, peu importait de savoir si les âmes des défunts se perdaient ou non, et même existaient ou non, l'important, c'était surtout de ne pas oublier. Et quel meilleur moyen de se rappeler que de laisser une trace visuelle de ce que nous voulons retenir ? Quelle âme peut encore se perdre si elle vit dans notre cœur, dans notre mémoire ou sur notre rétine ?

Perrine leva la tête vers le ciel gris. Elle ne ressentait rien, ni peine, ni joie ; elle était vide de toute émotion, elle était en paix. Et ce mot la soulagea. Son esprit s'en remplit, doucement, et il s'apaisa jusqu'à ce qu'il doutât lui-même de sa propre existence.

Le reste de la journée, Perrine le passa dans cet état. Détachée du reste du monde, elle observa Yna recevoir un billet annonçant l'arrivée de ses parents ainsi que leur présence au dîner. Ensuite, Perrine regarda son assiette puis leva les yeux sur une tablée d'invités tous plus étincelants les uns que les autres grâce à leurs parures et costumes brodés de pierres précieuses. Même son assiette scintillait, mais elle n'aurait su dire pourquoi. Elle était bien trop absorbée par ce sentiment de silence harmonieux qui habitait le fond de son âme.

Cependant, cette impression finit par se rompre. Durant le dîner, les parents d'Yna confirmèrent les fiançailles de leur fille avec le prince Erian. Un blanc fut jeté sur l'assemblée.

- Et si nous organisions une réception pour fêter cette union ? proposa alors le roi d'Olbies.

- Très bonne idée, approuva celui d'Iniese. Les invités sont déjà là, nous n'avons plus qu'à officialiser la nouvelle.

Perrine aperçut Yna se pincer les lèvres tandis qu'Erian, à ses côtés, serrait le poing autour de sa fourchette. Puis la terrienne vint observer Louis : sur son visage, toute expression s'était retirée. Pourtant, aucun d'eux ne prononça un mot pour s'opposer à cette terrible décision. Alors naturellement, le lendemain, la réception eut lieu. Jia et Perrine furent réquisitionnées pour aider les serviteurs du palais. La mobilisation du personnel était telle que contrairement à d'habitude, pas une seule servante ne fut aperçue dans les couloirs du palais à discuter avec un garde.

Plus tard, les invités se bousculèrent dans ces mêmes couloirs, juste pour apercevoir « l'heureux » couple. La princesse avait son bras enlacé autour de celui du prince, la main posée sur un avant-bras couvert de soie blanche, mais ses yeux étaient fixés sur un autre jeune homme. Vêtu d'un magnifique ensemble crème, Louis se tenait non loin de là. Il était de dos et Yna pouvait alors admirer sa magnifique tresse noire qui descendait le long de sa colonne vertébrale. Les yeux de la princesse la trahissaient et Erian se rendait bien compte que ce bras n'était accroché au sien que pour les apparences. Le corps d'Yna était bien à ses côtés, mais son regard ne mentait pas.

Soudain, Louis se retourna pour poser ses yeux sur Yna. La princesse fut surprise et resserra son étreinte autour du bras de son fiancé. Quand elle se rendit compte que son geste avait éteint le sourire de celui qu'elle aimait vraiment, elle baissa les yeux et serra le poing. Cette situation devenait insoutenable. Elle devait parler à Louis, d'une manière ou d'une autre et le plus vite possible.

- Vas-y, souffla Erian.

Yna l'interrogea du regard.

- Je vais faire diversion, rejoins-le.

- Merci, répondit Yna avec un regard débordant de gratitude.

Elle lâcha le bras du prince et poursuivit Louis qui partait déjà en direction du couloir. Lorsqu'elle arriva près de lui, elle s'assura que personne ne les avait suivis.

- Louis, je..., commença-t-elle.

- Vous allez vous marier, l'interrompit-il.

- Je sais, justement, je dois te parler.

- Me parler ?!

Un rire amer sortit de sa gorge et refléta la douleur qui luisait dans ses pupilles.

- Je pense que nous n'avons plus rien à nous dire.

Le regard d'Yna était suppliant et déjà envahi par quelques larmes. « Rien à se dire » ? Elle respira profondément et garda son calme. Mais Louis poursuivit.

- Vous êtes à votre place là-bas, à son bras. Comment ai-je pu croire une seule seconde vos paroles ? J'ai été naïf ! Vous ne changerez jamais, votre vie est trop confortable pour que vous la quittiez. Et vous deviendrez bientôt reine, vous serez comme vos parents !

Il y avait tant d'amertume dans sa voix qu'elle eut l'impression de s'être fait jeter une pierre au visage. L'impact la stupéfia et la rendit muette. Elle recula d'un pas, ne souhaitant plus s'approcher si c'était pour entendre de telles absurdités. C'était faux ! Tout ce qu'il disait, comment pouvait-il penser cela... ?! Son cœur se déchira et elle baissa les yeux. Il ne la connaissait pas finalement, elle s'était trompée sur lui. Il ne la comprenait pas. Et tous deux étaient si différents l'un de l'autre alors quoi de plus normal que de le laisser partir ? L'avait-il seulement aimée, véritablement ?...

Interdite, Yna ne trouva pas les mots pour retenir celui qu'elle croyait aimer. Pourtant, de tout son cœur elle ne souhaitait qu'une chose : percer les véritables pensées de Louis. Elle le savait enchaîné à une promesse, lié à un destin dont elle voulait faire partie sans toutefois en n'être qu'un pion. Or... parfois, Louis donnait l'impression à la princesse qu'elle n'existait que par son rang, qu'elle n'appartenait qu'à un monde alors qu'ils vivaient tous dans le même. Certes, on pouvait y voir des frontières, et même y dissocier la noblesse du reste du peuple, mais c'était de frontières et de différences qu'était fait ce monde. À chacun ensuite de choisir de les franchir ou non. Rien n'empêche jamais quiconque d'aller où il veut et surtout, rien ne nous force jamais à nous limiter à ce que nous voyons.

Yna retint ses larmes. Mais les larmes coulèrent malgré tout. Depuis quand était-ce devenu aussi insupportable d'être loin de Louis ? Depuis quand s'était-elle autant attachée à lui ? Il l'avait aidée à construire sa vision d'un monde meilleur et aujourd'hui il parvenait à lui faire vivre ce qui existait de pire en ce monde. Quelle ironie ! Et quel désespoir désormais tapissant le fond de son cœur autrefois si optimiste.

Elle ne voulait plus vivre, plus ici, plus à cette époque, ni dans cette société. Elle désirait un monde plus juste, ou un monde où les gens pouvaient vivre sans se préoccuper de la justice. Un monde où seul l'amour comptait. Sa vie et ses objectifs avaient tellement changé depuis qu'elle connaissait Louis. Tout était différent à présent et si elle ne pouvait construire ce monde meilleur sans lui, à quoi bon ? Pourquoi continuer s'il ne faisait plus partie de son avenir ? Autant se soumettre dès lors et renoncer à tous ses idéaux.

La silhouette de Louis était déjà loin dans le couloir. Lentement, Yna lui tourna le dos et avança vers la salle de bal. La princesse avait un rôle à tenir, un pays à diriger et un prince à épouser.

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Bonjour/bonsoir !!!!

Je suis de retour, et pour de bon normalement. J'ai l'intention de publier la fin de ce roman durant les vacances. J'espère que vous allez bien, n'hésitez pas à voter et commenter ! J'aimerais beaucoup lire vos théories sur la fin de ce tome ^^ Bon ça a l'air mal barré et ça va sûrement pas s'arranger mais je vous promets de l'espoir sur la toute fin XD

On se retrouve la semaine prochaine !!

Bye <3

BLUE HEARTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant