LVIII

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 Yna se précipita dans le couloir et courut à vive allure en direction de la chambre des garçons. Sans frapper, elle ouvrit la porte et s'introduisit dans la chambre.

– Est-ce que Louis est là ?

Elle était à bout de souffle, décoiffée et complètement désorientée. Mais cela lui importait peu : elle devait parler à son ami.

Dans la pièce, il n'y avait que Kian et Erian, tous deux en pleine conversation. Interrompus, ils dévisagèrent étrangement la princesse. Peut-être était-ce sa tenue, pour le moins inconvenante, ou son empressement, tout aussi inconvenant pour une princesse, mais elle n'avait pas de temps à perdre pour trouver la cause de leur étonnement.

– Où est-il ? répéta-t-elle.

– Il vient de sortir faire un tour, répondit Kian.

– Merci, souffla Yna avant de leur tourner le dos.

Elle courut encore, sans savoir où elle allait mais elle était persuadée de tomber sur lui à un moment où à un autre. Et ce fut ce qui se passa. Elle finit par le rattraper, au bout de quelques pas de course effrénée, et elle s'arrêta, stoppant par là même le bruit de ses semelles qui martelaient le sol en marbre.

– Louis ! cria-t-elle pour qu'il se retournât.

Ce qu'il fit, évidemment.

– Louis, c'est ridicule ! On fait quoi là ? Où ça nous mène ? Est-ce que tu es plus heureux sans moi ?

Il était à dix mètres d'elle, elle avança à mesure qu'elle exprimait ses pensées dans le couloir.

– Regarde-moi droit dans les yeux et dis-moi en toute honnêteté que tu es plus heureux sans moi, répéta-t-elle plus calmement.

Sa voix avait pris un ton très sérieux mais le regard de Louis était inexpressif et son silence la fit paniquer.

– Dis-le ! cria-t-elle désespérément.

Elle sentait les larmes revenir, mais elle était prête, peu importait si elle entendait « je suis plus heureux sans toi ». Peu lui importait... elle voulait juste en finir.

– Je ne peux pas.

Elle soupira de soulagement et courut se jeter à son cou. Les bras de Louis se refermèrent sur le frêle corps d'Yna. Et ses larmes coulèrent d'elles-mêmes contre l'épaule du jeune homme. Elle pleura tout ce qui lui restait. Elle pleura au souvenir de son cœur qui s'était déchiré et aussi à l'idée que sa vie aurait pu continuer sans Louis. Mais en le serrant un peu plus contre elle, elle sut que c'était inenvisageable. Il n'y avait pas d'avenir sans lui.

– Tu m'as tellement manqué. À partir d'aujourd'hui, je t'interdis de me quitter. Et oui, c'est un ordre.

– D'accord, acquiesça-t-il avec un faible sourire aux lèvres.

Ses yeux luisaient et reflétaient la peine qu'il avait trop contenue. À présent, Louis ne quitterait plus jamais Yna, il n'y avait rien d'autre à dire. Plus d'inquiétude, ni de doute, cette étreinte sonnait comme une promesse éternelle. Et qu'importaient leurs destins, leurs combats ou leurs différences, rien ne pouvait les séparer s'ils en décidaient ainsi.

– Princesse, il faut que je vous avoue quelque chose.

Yna se détacha du jeune homme et glissa ses mains dans les siennes.

– Je sais où se trouve la pierre, et je n'ai aucune intention de le révéler aux autres.

*

Le soir, Erinna se promenait dans les jardins du palais, à la recherche d'un peu de calme afin de mettre ses idées au clair. La lune, haute dans le ciel d'argent, donnait une teinte grisâtre aux pierres, aux arbres et aux plantes. La nuit était silencieuse, endormie, pas une chouette ne chassait dans les environs. Erinna soupira profondément et réfléchit. À l'heure actuelle, le plus simple était de continuer à jouer le rôle de Perrine. Mais elle devait prendre une certaine distance par rapport à ses « amis ». Elle aimait particulièrement Erian qui, quoique très futé, restait toujours aussi aveugle quant à l'identité de son frère. Comment ne pouvait-il pas comprendre que l'homme qu'il recherchait depuis tant d'années était en réalité sous ses yeux depuis le début ?

La situation était quelque peu hilarante, surtout quand on voyait Yna, si pathétique face à une condition si futile. Entre tomber amoureuse de Louis, simple roturier, et se marier avec Erian afin de devenir reine de deux pays, le choix était plutôt évident. Pour Erinna, en tout cas, la réponse était claire : le pouvoir avant l'amour. Quand on était dieu, on se lassait vite de toutes ces questions de passion, d'âme sœur et de sentiments immortels. L'éternité, c'était plus facile à vivre pour les mortels. Donc oui, elle se fichait pas mal des histoires de cœur, et si certains dieux s'y accrochaient encore, c'est qu'ils étaient jeunes. Dans son monde, le bonheur consistait à se trouver un partenaire, ou plusieurs d'ailleurs – elle n'avait jamais trop compris l'entêtement des humains pour la monogamie – afin de piéger, manipuler et trahir puis de diriger et régner sur la plus grande partie de l'univers. Jusqu'ici, Erinna avait toujours fait cavalier seul, elle était une experte en manipulation et ne trouvait personne qui l'égalait.

– Perrine ?

Surprise, la déesse laissa place à son rôle humain qui se retourna dans un bond.

– Tu m'as fait peur, avoua-t-elle en voyant que ce n'était que Kian. Que fais-tu là ?

– Je me promène, je suis chez moi après tout.

Il haussa les épaules et s'arrêta juste à côté de la jeune femme, si près d'elle que leurs épaules se touchaient presque. Pourquoi le destin les avait-il réunis ? C'était la question qu'Erinna ne cessait de se poser. Il y avait toujours une raison. Chez les dieux, tout le monde savait que rien n'arrivait par hasard. Alors si elle était là, et que Kian aussi, et qu'ils étaient si proches, cela concernait forcément la malédiction. Peut-être y avait-il un lien avec les pierres... Peut-être devait-elle l'empêcher de la briser ? Était-ce pour cette raison qu'elle s'était réveillée à cet instant précis ? C'était trop simple, il y avait forcément autre chose... puis à quoi bon si elle ne pouvait pas s'amuser un petit peu ?

– Alors, commença Perrine sur un ton interrogateur, tu comptes bientôt briser ta malédiction ?

Peut-être qu'elle devait juste mettre ses questions de côté et profiter d'être sur Iziria avant de retourner dans le monde des dieux. Elle comprenait maintenant pourquoi ses parents sur Terre n'avaient jamais été présents à ses côtés ; dès sa naissance, Perrine était destinée à partir. Elle repasserait les voir, au moins pour dire adieu à sa tante, Pattie, et aussi pour faire en sorte qu'ils ne s'inquiètent pas trop. Ils pouvaient vivre librement désormais.

– Je ne sais pas, répondit Kian ce qui surprit Perrine.

Pour la première fois, elle entendit les doutes du jeune homme qui était habituellement si sûr de lui.

– J'aime cette vie, poursuivit-il. Depuis vingt ans, je n'ai connu que ça, tout ce qui a existé avant ça n'est plus qu'un vague souvenir lointain. Ma vie c'est ça maintenant.

– Je vois, acquiesça Perrine.

Un sentiment étrange pinça son cœur. Sérieusement ? Elle secoua la tête et inspira profondément. Il allait falloir un peu plus qu'un réveil pour anéantir ces vulgaires sentiments humains. Mais que pouvait-elle face à la force de ce cœur ?

– Donc tu vas rester un loup ? Et... moi alors ? souffla-t-elle du bout des lèvres.

Le mieux pour elle, c'était de se servir de cette faiblesse afin d'affaiblir le prince. Le risque restait d'être prise à son propre jeu, mais si elle faisait attention, tout se déroulerait parfaitement.

– Toi ?

– Oui, moi, si je veux rester avec toi... parce que... je t'aime bien, avoua-t-elle.

Le sourire prétentieux de Kian qu'elle n'avait pas vu depuis des jours refit surface. Elle jubila intérieurement et fit mine d'être gênée.

– Oublie ça, ajouta-t-elle ensuite précipitamment. Je vais bientôt repartir, c'est stupide, qu'est-ce que...

– Perrine ?

– ... je m'imagine ? Je veux dire, je vais encore rester là pour un bon moment, mais je sais que ce n'est que tem-

Elle fut interrompue soudainement, ne pouvant plus parler parce que Kian l'embrassait. Il avait succombé et étrangement, au lieu de l'habituel plaisir qu'elle éprouvait en goûtant les lèvres d'autres hommes, elle ne ressentit que la honte et la culpabilité. Parce qu'elle savait, et pas lui. S'il l'aimait, ce ne pourrait être que tragique.

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Hello !
On se retrouve la semaine prochaine ;)

BLUE HEARTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant