BLUE HEART

XIII

De nombreuses heures plus tôt, Jia s'enfonçait en compagnie de son fidèle destrier dans la forêt interdite. Le cheval, d'une race à l'origine purement sauvage, avait un pelage entièrement noir qui luisait sous les rayons du soleil et qui permettait à l'animal de se camoufler parmi les ombres de la forêt. Jia l'avait acheté sur un marché il y avait plusieurs années et la jeune femme, déjà aveugle à cette époque, avait senti un lien spécial s'établir entre eux. Elle le prénomma instinctivement Neg, comme si le cheval lui-même lui avait soufflé ce nom. Depuis, les deux êtres étaient comme les doigts d'une main : inséparables et complémentaires.

Jia avait commandé à son cheval de maintenir le petit trot afin de pouvoir slalomer entre les arbres et de prendre un peu de vitesse pour rapidement intercepter Perrine. La jeune coiffeuse s'étonnait encore que l'inconnue eût choisi la même destination que Kian et son instinct lui intimait que ce ne serait point la dernière fois. Qui était-elle ? Sa manière de parler, sa façon de se vêtir et de se tenir paraissaient si étranges qu'on la confondait d'abord avec les pirates mais en l'observant plus attentivement, on ne pouvait qu'être certain qu'elle n'avait jamais vécu sur l'eau et qu'elle ne connaissait absolument rien d'Iziria. Jia commençait de plus en plus à croire qu'une des sept portes avait été rouverte et cela l'effrayait à un tel point qu'elle en frissonnait. Du temps où l'on avait condamné les passages vers les autres mondes, Jia n'était pas encore aveugle et elle était dix fois plus puissante qu'elle ne l'était à présent... et si on se fiait à ses calculs, cela faisait très très très longtemps que c'était arrivé ; les arrières grands-parents du roi d'Olbies n'étaient même pas encore nés. Donc si comme elle le croyait une des portes avait été rouverte, il fallait de ce pas qu'elle allât prévenir les autres afin d'empêcher l'accès des hommes à l'un des sept mondes. Si par le passé on avait verrouillé les portails ce n'était pas par hasard...

Soudain, Neg poussa un hennissement et se cabra faisant crier puis chuter Jia sur le tapis verdoyant et mousseux de la forêt. Elle eut le souffle coupé, l'air s'étant violemment expulsé de ses poumons, et elle ressentit une vive douleur dans tout le dos, des lombaires aux omoplates. Elle essayait de se relever tandis que Neg disparaissait derrière les fougères et les buissons épineux.

– Neg ! L'appela-t-elle.

Mais l'animal, trop effrayé, continua sa course effrénée. Jia soupira et reposa son buste endolori au sol ; maintenant elle était seule. Mais qu'avait-il pris à ce cheval ? C'était la première fois qu'il lui faisait un tel coup ! Et elle qui était aveugle, comment allait-elle poursuivre sa route à travers la flore sauvage ? Elle était capable de se déplacer grâce à ses intuitions mais elle était impuissante face aux caprices de la nature.

Lorsque la douleur se fut quelque peu dissipée, la jeune aveugle se redressa complètement et estima qu'elle était dans une clairière. Elle perçut aussi une aura qui lui était étrangère et qui la fit frissonner. Et pourtant, vous l'aurez compris, Jia n'était pas de ce genre. En réalité, peu de choses l'effrayaient car elle avait déjà vécu si longtemps que la mort elle-même la laissait de marbre. Mais cette aura avait quelque chose de répugnant. Sans même la voir, Jia sentait son haleine fétide envahir la clairière et elle devinait la puissance dévastatrice qui se cachait derrière cette putréfaction. À présent, elle était presque certaine d'être face à une espèce rare de démon. Elle n'était même plus surprise que Neg se fût enfui, au contraire, elle en était rassurée, parce qu'elle allait avoir beaucoup de mal à s'en sortir sans une égratignure.

– À nous deux, murmura-t-elle en positionnant ses bras de façon à combattre le monstre qui s'opposait à elle.

La première attaque du démon se présenta sous la forme d'une considérable vague d'énergie. Le bouclier mental de Jia fut légèrement secoué et elle grimaça face à la rafale de vent qui la percuta et qui fit voleter ses cheveux autour de son visage crispé.

La belle maudite se concentra, ancra un peu plus ses pieds dans la mousse et libéra sa redoutable puissance. C'était un combat de flux où la force mentale serait seule à en déterminer l'issue. Jia s'acharna sur le monstre, brisant ses barrières et le contraignant à battre en retraite durant une bonne minute, puis elle rétracta prudemment son pouvoir et découvrit l'âme à peine écorchée de son adversaire.

– Ce sera légèrement plus difficile que prévu, marmonna Jia.

Sa phrase terminée, elle reçut un coup d'une violence inouïe : ses barrières mentales se fissurèrent et elle recula de quelques pas. Elle répliqua immédiatement avec une frappe égalant presque l'intensité de celle du démon mais elle sentait bien que malgré son statut spécial de maudite, elle ne serait jamais capable de vaincre cet être sinistre. Elle ne regrettait pas sa malédiction, cela lui était impossible, mais parfois, elle aurait aimé garder certains de ses anciens privilèges. Elle était si puissante, une des plus puissantes de ce monde... et elle aurait pu écraser cette créature comme on piétine un insecte. À cet instant, c'était elle la fourmi et elle n'aimait pas du tout cette sensation.

Tandis qu'elle tentait d'ériger à nouveau un bouclier assez solide, le monstre continuait de l'assaillir. Elle se demandait d'où il tirait sa force inépuisable et elle espérait que quelqu'un lui vînt en aide car si elle continuait à le combattre seule, elle ne s'en sortirait pas. Ce démon allait aspirer son mana comme il avait dû avaler des centaines d'âme avant elle. Jia n'était pas effrayée par la mort mais maintenant, avec l'arrivée de Perrine, elle se devait de vivre. Elle ne pouvait pas abandonner ce monde sans le sauver d'abord. Elle avait perdu tout espoir de redevenir elle-même, pourtant, elle savait qu'un beau jour le soleil se lèverait sur de meilleures terres. Oui, elle était certaine qu'Iziria deviendrait un monde plus juste.

Subitement, Jia perçut une autre aura se jeter brutalement sur le démon. Déstabilisée par cette apparition inopinée, elle ne reconnut pas instinctivement le propriétaire de cette nouvelle forme de vie. Mais quand elle devina, à son aspect et à l'intensité de son pouvoir, la personne qui lui venait en aide, elle fut tellement soulagée que ses genoux se dérobèrent sous elle.

– Kian, souffla-t-elle.

----

Salut !

Désolée j'ai complètement oublié de publier samedi... pour me faire pardonner, j'espère que ce petit moment d'action vous aura plu même si ce n'est pas fou !

Alors, que pensez-vous de ce chapitre ?

Une idée de la véritable identité de Jia ? Pourquoi et comment en sait-elle autant ?

Soulagés que Kian soit soudainement apparu ?

Bonne soirée à vous et à bientôt !