Quelques semaines plus tôt...
Ynasuana se réveilla, légère, reposée, libre. Pour la première fois depuis longtemps, la princesse avait dormi paisiblement, sans faire ni cauchemar ni insomnie. Un poids s'était retiré de son front et elle pouvait sourire en s'étirant. Elle pouvait sourire en sortant de l'auberge et en sentant le soleil dorer peu à peu les cellules de sa peau si blanche. Elle sourit même encore plus lorsque l'aubergiste lui déclara qu'il lui offrait la nuit passée dans son établissement. Apparemment, la princesse rappelait à ce vieil homme sa propre jeunesse insouciante.
L'héritière du trône d'Iniese remercia l'hôte et se dirigea vers les écuries pour récupérer sa monture. Sur le petit sentier, elle pensa à la veille et à sa fugue insolite. Elle était libre, enfin !
Mais lorsqu'elle y arriva, un homme était déjà près de son cheval. Il semblait murmurer à l'oreille de l'animal des mots dans une autre langue. Ses paroles rythmaient le passage d'une main réconfortante sur le front de la bête. Quant à ce jeune homme, une longue natte noire couvrait sa colonne vertébrale et son teint typique des natifs des îles faisait presque écho au bronzage de la princesse d'Iniese, dirigeante du pays du soleil.
– Que fais-tu ? l'interrogea Yna sans réfléchir. C'est mon cheval.
– Ton cheval ? s'étonna le jeune homme toujours de dos. Dois-je te rappeler qui me l'a volé ?
Il prit enfin la peine de jeter un oeil à Yna et en la reconnaissant son visage se décomposa.
– Votre altesse ?! Veuillez me pardonner, je ne savais pas...
D'abord déconcerté, le jeune homme resta stoïque, puis il mit enfin un genou à terre et baissa la tête comme le voulait le protocole.
– Chut, relève-toi, lui intima Yna.
Normalement, personne ne pouvait la reconnaître ! Si son plan avait si bien fonctionné jusqu'ici c'était parce que dès lors qu'on s'éloignait de la ville, plus personne ne reconnaissait son visage. Sans couronne ni costume, elle ne possédait plus l'étoffe d'une princesse aux yeux des autres. Qui irait en effet soupçonner la jeune héritière de se balader dans un village, en chemise et pantalon mais surtout sans aucune escorte ni suite royale ?
Personne sauf ce type en face d'elle apparemment.
Elle s'approcha et lui prit le bras pour le relever.
– Ne me fais pas remarquer, idiot.
– Je respecte la loi, dit-il en gardant son regard baissé.
– On se fiche de la loi. Et cesse d'appliquer ces stupides règles, personne n'est jamais mort en posant ses yeux sur mon visage.
– C'est ça..., marmonna-t-il, caustique.
En digne princesse, Yna ne releva pas et préféra l'ignorer. Ne dit-on pas d'ailleurs que la pire des tortures est l'ignorance ? Et croyez-le ou non, mais cette princesse cache en elle l'âme d'une tortionnaire.
– Au fait, pourquoi êtes-vous ici, votre Majesté ?
– Cela ne te regarde pas. Et arrête de m'appeler ainsi. Maintenant, je ne suis plus qu'Yna, déclara-t-elle en pensant à tout ce qu'elle avait laissé derrière elle.
– Mais...
– Chut, tais-toi, arrête juste de parler, s'énerva-t-elle. Je vais prendre ton cheval et continuer ma route. Tiens, trois pièces, cela devrait suffire à t'en acheter un autre.
Elle empoigna les rênes de la bête et le tira à sa suite.
– Vous ne valez pas mieux que les autres.
Yna se figea. Comment ignorer une telle réplique ? Comment partir sans défendre son honneur, sa famille, ses racines ?... Mais comment, alors même que cette insulte la révoltait, ne pas être d'accord avec ces paroles si dures ? Elle se comportait encore comme si elle avait tous les droits sur les autres ; elle se comportait comme une princesse. Exactement comme ce qu'elle avait fui la veille. Quelle idiote ! Elle ne changerait pas et ne changerait rien en partant du principe qu'elle était supérieure aux autres et qu'elle pouvait agir à sa guise. Il ne fallait pas oublier pourquoi elle était partie : la vie au palais ne l'intéressait pas. Elle voulait être comme les autres. Aucun traitement de faveur. Mais à peine sortie de sa prison dorée, elle enfermait déjà son esprit dans une autre sorte de cage.
– C'est vrai, admit-t-elle. Je ne vaux pas mieux que mes parents ou que tout autre roi ou reine. J'ai la prétention de croire que tout m'appartient, parce que ce royaume sera bientôt mien. Mais comment tout cela peut-il être à moi ?
Elle écarta les bras désignant les terres qui l'entouraient.
– Comment pourrais-je veiller sur autant de biens ? Comment pourrais-je même avoir une quelconque emprise sur les gens ? Qui suis-je ? Si j'étais née une maison plus loin, je ne serais pas princesse. Tout cela, ce n'est qu'un pur hasard. Et ce cheval... Ce cheval, reprit-elle à bout de souffle, il n'est pas plus à moi qu'il n'est à toi.
Yna tendit les rênes de l'animal à son propriétaire.
– Mais je suis désolée, il est clair que j'ai outrepassé mes droits.
Sa voix assurée étincelait de sincérité. Le jeune homme la fixait, interdit face au miroir brisé de ses préjugés. Elle lui offrit un sourire forcé qui s'affaiblit en même temps qu'elle se tourna pour poursuivie son périple.
– Attendez ! retint-il la princesse alors qu'elle s'éloignait déjà vers la route.
Elle fit volte face avec une intense lueur d'espoir dans le regard. Elle semblait si insouciante, si juste même dans ses erreurs, et le jeune homme éprouvait une sorte d'instinct, une intuition – pourtant si fine et invisible – qu'il lui fallait suivre sinon... il le regretterait.
– Vous allez vers les montagnes ?
Elle hocha la tête :
– Je veux fouler librement la terre de tous les pays de ce monde.
– J'ai un cheval. Et vous avez de l'argent, ajouta-t-il précipitamment pour ne pas avoir l'air d'être charitable.
Surtout envers une personne de sang royal, quel comble !
– Je suis fauché à vrai dire. Et... j'ai faim.
– Alors, cela veut-il dire que nous voyagerons ensemble ?
– Si son altesse n'en voit pas d'inconvénient, se moqua-t-il.
Elle sourit et ce sourire était sans doute la chose la plus surprenante que le jeune homme n'avait jamais vue.
– Mais il y a un problème. Je ne voyage pas avec les inconnus.
Elle croisa les bras sous sa poitrine et attendit le prénom de son nouveau compagnon de route.
– Je m'appelle Louis.
Ce fut le début d'une des plus belles et des plus tristes histoires d'amour.
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Passez de joyeuses fêtes !!!
À bientôt 😁
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BLUE HEART
FantasyImaginez-vous prendre un bain et la seconde d'après vous retrouver propulsée toute nue au milieu d'un immense lac. Difficile à croire n'est-ce pas ? Et pourtant c'est exactement ce que vient de vivre Perrine, jeune fille d'à peine dix-huit ans. Sur...