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Lobi Han et Reiku revinrent quelques heures après le réveil de Jia et évaluèrent son état convenable pour reprendre la route. Le guérisseur lui interdit quand même d'utiliser son mana pendant quelques jours, ce qui contraria Jia qui ne voyait que par ce sixième sens.

– Ne te plains pas, tu as eu de la chance de t'en sortir vivante. Ce monstre t'a puisé les trois quarts de ton mana sans que tu n'en prennes conscience. L'attaque que tu as lancée par la suite était démesurée ; ton corps ne l'a pas supportée... J'ai parfois l'impression que tu oublies ta condition d'humaine. Ce n'est pas parce que tu es immortelle que tu as le droit de maltraiter ce corps, la sermonna le vieux sage.

– Je sais, je sais, marmonna Jia. Kian sera mes yeux, s'il n'y voit pas d'inconvénient.

– Je ne souhaite pas poursuivre Perrine, c'est ridicule !

– Je ne laisserai pas repartir Jia si je la sais seule, jeune effronté, s'interposa le guérisseur.

« Je préférais encore lorsqu'il m'appelait votre altesse, » s'amusa Kian.

– Je ne veux pas être impliqué dans tes affaires, déclara-t-il.

– Désolée mais tu l'es déjà, s'excusa Jia un sourire aux lèvres.

Kian soupira. Et voilà que l'histoire se répétait, combien de fois encore devrait-il subir cela ? Près de Perrine il courait à sa perte, c'était évident ! Il avait assez gâché son temps ; maintenant il lui fallait reprendre sa quête afin de briser la malédiction. Ensuite entrerait en scène Jia qui lui avait promis de l'aider à tuer cette fichue déesse, même s'il devait d'abord remplir sa part du contrat pour que son amie pût accomplir la sienne. Cette vengeance était importante pour lui, elle représentait une chance de prouver aux dieux qu'ils n'étaient pas immortels et qu'ils tyrannisaient le monde. C'était sa façon de leur montrer combien de vies et de familles ils avaient détruites.

– De toute façon tu y es obligé, insista Jia en souriant.

« Ce sourire... il m'est si familier... pourquoi ai-je l'impression qu'il est superficiel ? Ma mère avait la même expression, crispée mais avenante. Elle me cachait ce qui la rendait malheureuse tout en essayant de ne pas le laisser paraître, en vain. Je ne lui ai jamais demandé ce qui ternissait son si beau sourire. Si quelque chose ne va pas, dis-le Jia. C'est trop tard, elle ne parlera pas, parce que je n'ai jamais fait attention aux autres ; je ne suis pas comme cela et elle non plus. Alors pourquoi ? Pourquoi me laisse-t-elle voir ses sentiments... ? »

La raison était simple : il était impossible pour Jia, lorsqu'elle était dans l'incapacité d'utiliser son mana, de cacher ses émotions à quelqu'un capable de discerner la vérité des mensonges. À présent autant le guérisseur que Kian percevait l'ambivalence des intentions de Jia.

– On ferait mieux de partir, suggéra Kian pour détendre l'atmosphère.

– Oui, nous la rattraperons plus rapidement ainsi.

– Évitons d'en parler, se renferma-t-il subitement.

Jia rit, l'air taquin. Puis se tournant vers Lobi, elle s'inclina et le remercia infiniment.

– Je ne fais que rembourser ma dette, répondit-il humblement.

C'était encore une preuve que Kian ne connaissait pas bien Jia. Il la savait puissante, assez pour avoir des amis sans doute bien plus puissants qu'elle, mais il ignorait tellement de choses à son sujet. Par exemple, il ne connaissait que peu de détails de sa vie avant d'être maudite, chaque fois qu'il le lui avait demandé, elle éludait remarquablement la question, de même au sujet de sa malédiction : elle restait extrêmement vague sur la divinité l'ayant jetée et la raison qui avait poussé les dieux à intervenir. Kian savait ce qu'elle jugeait nécessaire, rien de plus.

– Je dois aussi vous remercier alors, s'inclina également le prince.

Le guérisseur lui rendit son salut et avant qu'il n'eût franchi la porte, il lui donna un dernier conseil : « La confiance s'établit à deux et comme dans toute relation, il y a toujours une des deux parties qui doit faire le premier pas. »

Pourquoi cette tâche lui reviendrait-elle ? Pourquoi ne serait-ce pas à Jia d'effectuer ce « premier pas » ? Kian ne réfléchit pas bien longtemps à ces questions, il comprenait à présent pourquoi Jia ne lui accordait pas sa confiance : parce que lui-même ne l'avait pas fait. Il le croyait mais il se rendait compte que tous ses actes allaient à l'encontre de ce qu'il pensait. Jia ne lui confessait rien parce que le prince ne divulgait que le minimum, tout comme elle. En réalité, ils se ressemblaient tellement sur ce point que cela en devenait ridicule : quelles têtes de mules !

Cependant, Kian ne trouva pas le courage d'en parler et leur trajet à cheval se passa silencieusement. Jia ne semblait pas curieuse de savoir les raisons qui avaient poussé le prince à s'aventurer dans la forêt maudite et lui ne voyait pas comment aborder le sujet Perrine. Le jeune homme observait la lumière danser sur les feuilles des chênes, peupliers, pins et autres arbres de la forêt, et alors qu'il aperçut une petite boule de poils rousse se faufiler en haut d'un noisetier, la voix de Jia le fit sursauter.

– J'ai quelque chose d'important à te dire.

« Enfin ! » se réjouit-il. Mais il fut ébloui par le reflet du soleil sur... la pointe d'une flèche !

– La déesse... commença Jia avant d'être violemment projetée au sol.

Kian avait bondi de son cheval, se propulsant vers son amie afin de lui éviter d'être transpercée par la tige en bois.

– Qu'est-ce que tu fais ?! S'écria Jia.

– Ce sont des brigands, remonte sur ton cheval !

À l'entente de ces mots, Jia passa outre la douleur de cette chute et se précipita vers sa monture affolée. Ils enfourchèrent les chevaux et les lancèrent au galop, esquivant les flèches qui fusaient près de leurs oreilles.

– À droite ! Cria tout à coup Kian.

Jia obéit, la flèche lui écorcha l'épaule au lieu de se planter dans son dos. C'est alors que le prince tira sur les rênes du harnais : le cheval interrompit sa course et fit demi-tour. Il dégaina son épée dont le reflet du soleil sur sa lame éblouit ses adversaires puis il tenta de calmer la bête apeurée par les brigands. Leur seule chance de s'en sortir vivants, c'était de foncer dans le tas pour tous les tuer.

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Bonjour/bonsoir !

Je vous mets deux chapitres pour m'excuser de cette longue absence, et je vous retrouve au prochain pour quelques petites questions :)

BLUE HEARTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant