XIV

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Au-delà des montagnes, et bien plus loin encore, vivait une jeune fille, princesse du royaume d'Iniese. Elle n'était pas ordinaire, premièrement parce qu'elle était de sang royal, mais aussi parce qu'elle avait de longs cheveux bruns qu'elle n'avait jamais coupés. Aussi avaient-ils déjà atteints plus de deux mètres lorsqu'elle fêta ses dix-sept ans. Cependant, ce que chaque personne semblait ignorer dans son entourage, c'était qu'Ynasuana se sentait terriblement prisonnière. On aurait pu sans aucun doute la considérer comme la personne la plus chanceuse du monde : elle vivait aisément, avait des parents aimants et des frères et sœurs charmants. Sa vie paraissait splendide, elle était enviable et le royaume entier la trouvait si parfaite... Mais la réalité était tout autre : chaque soir dans sa tour, la princesse s'asseyait sur le rebord de la fenêtre, et d'un œil mélancolique, elle admirait la majestueuse lune d'argent en rêvant de la rejoindre. Les étoiles, inlassablement, l'appelaient comme les diamants attirent la convoitise. Alors elle s'emparait d'un livre et au clair de l'astre lisait sans s'interrompre jusqu'au petit matin. L'aube naissante lui piquait les yeux et elle s'endormait dans son lit de soie et de fourrures.

Ynasuana était lassée d'à peu près tout ce qui l'entourait. Peut-être, à force de lire tous ces livres, avait-elle développé cette angoissante sensation d'être enfermée et ainsi avait-elle nourri son imagination et son désir d'aventures. Elle pensait souvent aux pirates et à leurs voyages extraordinaires, qu'elle avait tant de fois contemplés dans des livres interdits aux enfants. Ils évoquaient tous ce sentiment qu'on appelle liberté et qui, en coulant dans vos veines, vous donne le courage d'être invincible. La princesse transformait donc ses tenues en voiles afin de se construire un bateau, elle prenait ses draps de soie et se les attachait sur le dos pour en faire de flamboyantes capes. Elle s'improvisait capitaine, et ses frères et sœurs devenaient son équipage. Durant ces courts instants, elle vivait et après... elle pleurait, elle voulait plus, ou peut-être moins. Elle enviait les familles modestes, le trône et la couronne la terrifiaient : bientôt elle se marierait. « Mais quelle jeune fille rêverait d'une telle vie ? » Se désolait Ynasuana. Elle ne voulait plus de robes, plus de bijoux et encore moins de prétendants. Elle espérait même pouvoir un jour refuser le titre de reine et laisser gouverner son petit frère. Il avait tout d'un roi, il aurait même souhaité l'être. Malheureusement Ynasuana était née la première et c'était donc à elle que revenait le trône et tout le protocole qui l'accompagnait.

Alors une nuit, lorsque tout le château se fut endormi et que même les gardes semblèrent assoupis, la princesse noua ses draps pour en faire une longue corde qu'elle attacha au pied de son lit à baldaquin et qu'elle jeta par la fenêtre de sa tour. Vêtue d'un pantalon et d'une chemise qu'elle avait pris dans les appartements de son frère un peu plus tôt, elle se laissa glisser jusque dans le jardin. Il était beaucoup plus simple de s'enfuir si elle passait par un chemin très discret qui la conduirait directement à la porte principale, qui lui servirait elle-même à franchir les remparts de plus de quatre mètres de hauts impossibles à escalader. Dehors, le doux parfum des fleurs du parc envahit ses narines et les rayons de la lune illuminèrent ses yeux pétillants de malice. Bien sûr, elle était triste de partir, et surtout inquiète du sort qu'on lui réserverait si on la surprenait, mais l'excitation dépassait ces deux premiers sentiments. Elle se voyait déjà vieille, assise devant son bureau en train d'écrire le récit de ses aventures. Jamais Yna n'avait été aussi heureuse de quitter le palais car elle savait qu'aujourd'hui, ce serait pour très longtemps.

Arrivée au bout du chemin et devant la herse, son anxiété s'intensifia. Elle se dit qu'elle aurait mieux fait de seller un cheval à l'écurie, et finalement se félicita de ne pas avoir pris ce risque car les hennissements auraient certainement réveillé les domestiques. Puis en voyant les gardes postés devant la lourde grille en fer, elle jura dans un murmure : elle pensait qu'ils se seraient endormis eux aussi. Il fallait improviser et vite. Se souvenant de la tactique d'un des héros d'un célèbre livre qu'elle avait lu, la princesse attrapa un cailloux qu'elle jeta derrière un buisson, loin de sa position. Le bruit attira l'un des deux gardes qui partit vérifier son origine. Le deuxième sembla suivre des yeux son équipier ce qui laissa le champ libre à Yna. Elle se glissa silencieusement dans la tour des sentinelles ; passer par la porte des gardes était plus sûr et facile que de lever la herse. À l'intérieur, une faible lueur éclairait la pièce froide. Elle venait d'un petit escalier de pierre d'où parvenait également des voix masculines. Les autres gardes jouaient bruyamment aux cartes autour d'une bouteille d'alcool. Ynasuana s'empara des clefs accrochées au mur en veillant à ne pas les faire tinter et déverrouilla ce qui l'empêchait d'accéder à la liberté. Elle fit un pas, puis deux et se retrouva dehors, à l'extérieur du château.

« Libre, je suis libre ! » pensa-t-elle premièrement.

– Eh ! vous ! Que faites-vous là ? Lui demanda un homme qui venait juste d'entrer par l'autre côté.

« Cours ! » Yna détala comme un lièvre en direction de la ville. Elle courra si vite que les gardes ne sonnèrent l'alarme qu'après quelques minutes lorsqu'ils eurent compris que la personne qu'ils avaient surprise s'échappait. La princesse ne s'arrêta pas une seconde et continua sa course effrénée jusqu'au moment où, apercevant le cheval d'un vagabond devant une auberge et étant soudainement prise d'un coup de folie, elle décida de s'en emparer sans attendre de permission. Elle l'enfourcha et le lança directement au galop. Ses sabots claquèrent violemment sur les pavés et réveillèrent la moitié des habitants de la rue.

Yna était effrayée à l'idée de se faire interpeller et emprisonner dans les cachots humides et lugubres du palais. Elle s'imaginait son père, les joues rouges de colère et dans les yeux de sa mère, elle voyait une profonde déception. Elle faillit renoncer en pensant au chagrin de ses frères et sœurs ou même à l'inquiétude de ses parents, mais la princesse ne flancha pas. Elle était partie pour commencer une nouvelle vie et elle avait déjà cent fois réfléchi à tout ce qu'elle allait perdre : cela ne valait nullement un brin de liberté. En effet, tout dans sa vie semblait vouloir la rendre heureuse, cependant parfois, ce n'était pas le bonheur le plus important.

Ynasuana encouragea donc sa monture à poursuivre au galop jusqu'aux montagnes enneigées, seule frontière entre son royaume et celui d'Olbies.

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Hello ! Ça va ?

Désolée mais le cas de Jia attendra car aujourd'hui on découvre un nouveau personnage et un autre royaume : Ynasuana, princesse d'Iniese.

Elle a un bon tempérament mais elle est un peu naïve, vous le verrez par la suite.

À votre avis, qu'est-ce qui va la relier aux autres héros ? Une petite idée de ce qu'elle serait prête à faire pour se sentir libre ?

Bonne soirée et à la semaine prochaine (normalement 😂)

BLUE HEARTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant