LIX

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 Louis discuta longuement avec Yna. Il se confia sur sa vie, son enfance, la mission de ses parents ainsi que sa volonté de la poursuivre. Son projet était immense pour un seul homme, mais c'était l'héritage de son peuple qui reposait sur ses épaules. Tout ce qu'il restait d'eux consistait en une maigre poignée de savoir qui ne subsistait désormais plus qu'en Louis.

– Je veux rouvrir les portes qui mènent aux autres mondes et dénoncer le crime dont a été victime mon pays.

– Il ne reste plus que toi, n'est-ce pas ? s'attrista Yna.

Louis hocha doucement la tête.

– Mais je vous ai vous maintenant ?

Cette phrase planait entre l'affirmation et l'interrogation.

– Oui, souffla-t-elle.

– Qu'y a-t-il ? s'enquit-il en entendant la voix d'Yna faiblir.

– Et mon mariage ? lui rappela-t-elle en se souvenant des mots qu'il avait prononcés.

– On peut s'enfuir. Nous n'avons qu'à voler la clé, je sais où elle se trouve et ensuite, nous partirons. Est-ce que vous voulez bien ?

Elle réfléchit quelques secondes. Que lui restait-il ici ? Un mariage arrangé, le poids du regard de ses parents, des vies innombrables écrasant ses frêles épaules de presque reine, un palais qui n'était pas le sien, ses ailes coupées... Elle n'avait rien en réalité. Et par-dessus tout, ses frères et sœurs lui manquaient, son ancienne vie lui manquait presque.

– Je le veux, déclara-t-elle avec assurance.

Si elle ne pouvait pas retrouver le passé, elle préférait courir vers ce futur. Tant qu'elle fuyait son présent, tout lui convenait.

– Alors rejoignez-moi demain soir, dans ce même couloir et une fois que j'aurais la clé, nous partirons.

Yna serra la main de Louis dans la sienne. Comment régner sur un monde qui ignorait la vérité ? Même si elle avait passé des années à étudier sur la manière de gouverner un pays, elle n'en restait pas moins une simple humaine. Noble ou pas, elle ne pouvait décider pour le destin de milliers de personnes. Il lui fallait déjà prendre en charge le sien, et il commençait avec Louis, elle en était persuadée.

*

Kian avait passé une nuit bien agitée. Pourquoi avait-il embrassé Perrine ? C'était une belle erreur, il n'aurait jamais dû s'approcher d'elle ainsi, il ne faisait que se brûler les ailes. Et surtout, il savait que ses sentiments ne seraient qu'une entrave à sa mission. Il ne pouvait pas l'impliquer dans sa quête : c'était trop risqué et également trop égoïste. Certes, les paroles de la malédiction impliquaient Perrine dans le processus censé rompre le sort, mais voulait-il réellement le briser ?

Kian évita donc Perrine toute la journée et même lorsqu'ils faillirent se croiser, la jeune femme ne chercha pas à lui adresser la parole ce qui le rassura autant que cela l'angoissait. Regrettait-elle ? Après tout, envisager une relation avec lui était perdu d'avance : même s'il restait humain, elle retournerait dans son monde et disparaîtrait, le laissant seul et marginal. Et même s'il retrouvait sa place dans la société, que pouvait-il espérer d'un peuple qui le croyait mort ? S'il revenait après vingt ans avec ce visage inchangé où pas une seule ride n'avait fleuri, il serait banni, que sa malédiction fût brisée ou non. Il n'était pas encore débarrassé de ce mauvais sort qu'un deuxième semblait déjà planer au-dessus de sa tête. « Et combien d'autres ensuite ? » s'interrogea-t-il désespérément. On aurait dit une boucle éternelle et il était hors de question d'y emprisonner Perrine.

Il trouva Jia, en fin d'après-midi, elle méditait dans un jardin, tentant de capter la moindre onde qui lui signalerait la présence de magie. Kian, lui, n'arrivait à rien depuis qu'il avait embrassé Perrine et que son instinct ne cherchait qu'à sentir l'aura de celle qu'il aimait près de la sienne.

BLUE HEARTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant